Rediffusion

Les conséquences sociales de la dette : une insolente minimisation

Sociologue, Sociologue

Les discussions autour des taux d’intérêt négatifs et de l’endettement demeurent focalisées sur des agrégats économiques abstraits et ignorent les conséquences sociales de la dette. Avec les outils de la sociologie, il est possible de mieux saisir l’articulation de la grande politique aux épreuves du quotidien. Et ainsi se demander si une bonne politique économique peut vraiment faire l’impasse sur les questions sociales qu’elle implique ? Rediffusion du 7 octobre 2019.

La dette ne fait plus peur. Dans les colonnes du Point cet été, Olivier Blanchard, chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), et présenté par l’hebdomadaire comme néo-keynésien, affirmait : « même si la dette publique est coûteuse, elle n’est pas aussi catastrophique que certains l’affirment ». Mieux, « être obnubilé par sa réduction, au prix de dépenses d’infrastructures réduites ou de chômage plus élevé, est une erreur ».

À première vue, le fait qu’une institution incarnant historiquement l’orthodoxie et la discipline budgétaire (notamment pour les pays « sous assistance FMI »), en vertu des conditions de marché (des taux faibles sinon négatifs), plaide pour une tolérance accrue du recours au financement par emprunt et relativise le problème de la dette a de quoi surprendre. Ce raisonnement entre en résonance avec de fortes demandes sociales et politiques d’investissement public traditionnellement situées à gauche de l’échiquier politique.

Pour autant, ces pensées s’agencent autour de représentations macro-économiques, ou macrosociales de la réalité de l’endettement qu’il soit public ou privé et restent focalisées sur des agrégats « anonymes ». Si Blanchard ridiculise l’argument des « générations futures » lésées par « une charge », c’est au nom d’une spécificité de la dette publique par rapport à la dette privée, transmise en famille : « Si vous laissez plus de dette à vos enfants, vous leur imposez une charge. La dette publique, elle, est différente. À un moment donné, les intérêts sont payés par les contribuables, sous forme d’impôts, à ceux qui détiennent la dette. Du point de vue de l’économie dans son ensemble, c’est juste un transfert entre agents économiques ». L’argument est en revanche vrai dans le sens où (…) la dette publique réduit l’accumulation de capital, donc la production future ».

Les transferts entre agents économiques (et sociaux) ne constituent pas un problème en soi, puisque à l’échelle macro-économique, ils s’équilibrent. Les nuisances à « l’accumulation de capital », à « la production future » inquiètent mais, à nouveau, ces entités sont conçues de façon compacte. Mais de quelle production parle-t-on, de quelle richesse et accumulation parle-t-on et au bénéfice de quels agents ?

Alors faut-il s’endetter ? Ici se situe la limite d’une critique keynésienne de la peur de la dette et qui plaide pour un recours accru au déficit public financé par l’appel aux marchés de capitaux privés, tout en restant aveugles aux processus sociaux inégalitaires se logeant dans les interstices des calculs et raisonnements macroscopiques. De fait, les « générations » présentes et futures, sont éclatées entre riches, pauvres, classes moyennes et tiraillées par des intérêts contradictoires : entre propension à épargner (et donc placement dans des supports sécurisés, comme le permet la dette souveraine) ou nécessité de survie. Ceux qui bénéficient des prestations sociales et services publics sont lésés par le recours systématique à l’endettement, qui n’est autre qu’un appel à l’épargne privée, et s’arrime à une politique des caisses vides où le seul impôt légitime est la taxation indirecte, frappant les plus pauvres dans leur consommation quotidienne, au détriment de l’impôt sur les fortunes et le capital.

Articuler la grande politique aux épreuves du quotidien

Une façon nouvelle d’appréhender ces enjeux consiste à articuler les politiques macro-économique et financières, et les débats qu’elles suscitent, avec l’expérience qu’en font concrètement les acteurs sociaux, que ce soient les ménages et les États. Cette posture rompt avec l’ironie usuelle des acteurs du débat public (dont Blanchard dans l’interview citée) qui raillent l’analogie entre dettes privées et dettes publiques – ce dont se satisfait aussi une critique macro-économique extérieure [1].

Sans évidemment mettre en équivalence les formes d’endettement des États et des ménages – et la nature des entités en jeu – il s’agit de suivre, avec les outils de la sociologie, la façon dont les expériences d’endettement se rapprochent ou s’éloignent selon les configurations afin de saisir ce qu’elles engagent pour ces acteurs et entités publiques ou privés : quelle contrainte de paiement, fiscal ou bancaire ? Quelle hiérarchisation des droits et des devoirs économiques et sociaux pour les différentes fractions de la population ? Quelle procédure d’annulation ou d’effacement des obligations en cas de surendettement ?  Afin de déplier ces questions, nous proposons d’entrer simultanément par la dette et le crédit, au sens de crédibilité financière mais aussi de détention de créances (et donc d’un actif sur les débiteurs et endettés).

Les conditions d’existence de l’« investi »

Ces dernières décennies, les sciences sociales ont fait cet effort de façon croissante. Des chercheurs en sciences politiques, américains et européens, ont d’abord montré les conséquences de la libéralisation de l’économie – réformes transformant les systèmes de retraites, d’assurances et accélérant la circulation des capitaux comme celle des actions d’entreprises – et la déstabilisation des modes de vie et de l’horizon économique des ménages que celle-ci provoquait. Jacob Hacker soulignait ainsi le transfert des risques (risk shift) sociaux – maladie, chômage mais aussi vieillesse et éducation des enfants – auparavant mutualisés et qui pèsent désormais sur les ménages rendus à de solutions ou protection individuelles (onéreuses).

Ce déplacement des charges et responsabilités en dehors du domaine collectif se traduit par une accumulation de coûts et des zones de vulnérabilités : l’obligation faite d’un recours à l’assurance privée, les risques liés à l’instabilité du travail, à la spéculation immobilière et à l’augmentation fulgurante des coûts de l’éducation privée [2], dans le supérieur comme dans l’élémentaire, mais aussi désormais publique en Europe avec la détérioration des services publics (l’augmentation des frais d’inscription et l’instillation discrète du modèle privé) et des assurances sociales mutualisées. Réussir à maintenir la stabilité économique d’un ménage en s’assurant de pouvoir élever ses enfants et d’avoir suffisamment pour sa retraite devient une gageure. Seuls les plus fortunés y parviennent et ceux dont les emplois sont moins protégés sont mal logés, mal soignés, risquent de vieillir dans la misère et supportent une inquiétude permanente du lendemain.

De même, le paiement des impôts pèse très inégalement sur la population : les gouvernants favorisent les impôts indirects (y compris au nom de la lutte légitime contre le réchauffement climatique), quand les prélèvements frappent le plus durement les classes paupérisées, rendues à une consommation de survie.

Si le degré d’avancement de ces processus doit être rapporté aux contextes spécifiques, américain ou européen, l’idée est de tenir ensemble l’analyse des décisions macro-économiques et une enquête sur les transformations du paysage financier des ménages comme des États – saisissant l’évolution de leurs raisons d’agir. Les politiques économiques, fiscales et monétaires, qui aboutissent à l’endettement des États, ont des effets sur les ménages, leurs modes de vie, leurs capacités de projections dans le futur, bref les inégalités qui les structurent.

La permissivité du Fonds monétaire international ne peut passer outre une prise en compte des conséquences sociales et politiques de l’endettement sous sa forme marchande pour des États surexposés (comme en Argentine) mais aussi pour les ménages des pays dits « développés », comme en Espagne. De quels filets de sécurité dispose-t-on pour faire face au surendettement potentiel tant des États que des ménages ?

Le crédit est en France quasiment exclusivement bancaire. L’État français, au cours des années 1950 et 1960, a lutté contre les prêts accordés par les commerçants et les usuriers de toute nature. Accéder au crédit nécessite désormais de se plier aux épreuves mises en place par les banques, qui évaluent la stabilité professionnelle, résidentielle, familiale, des personnes. Si dans d’autres pays l’accès au crédit des populations les moins stables est possible en échange de taux d’intérêts très élevés, parfois plusieurs centaines de %, en France, où le taux d’usure interdit aux prêteurs ce type de pratique, le risque est contrôlé par une sélection drastique des emprunteurs.

L’un des signes de la déstabilisation des ménages est que dans une période où l’on parle sans cesse de la ruée vers le crédit peu cher, notamment dans le domaine immobilier, les rares statistiques sur le sujet montrent un resserrement de la part de la population qui peut emprunter, ce qui est encore plus vrai pour le crédit immobilier. Du crédit, il n’y en a donc pas pour tout le monde. Et les conditions de son obtention comme de son coût varient selon le niveau économique des emprunteurs : les plus aisés ayant accès au crédit le moins coûteux.

Regarder en détail les crédits souscrits par les ménages permet également de contester la vision univoque du crédit ou de la dette : tous les crédits ne se valent pas. Certains sont des leviers pour la constitution d’un patrimoine dans des contextes sereins, voir des outils de défiscalisation lorsque ce même patrimoine est conséquent. Ces patrimoines, augmentées par les réformes de Macron sur la fiscalité des revenus financiers (dont la flat tax qui applique un taux unique et plafond au détriment d’un prélèvement progressif, prenant en compte différentes « tranches »), constituent le vivier se plaçant en dettes souveraines des États – plus ou moins soumis à l’austérité. D’autres emprunts peuvent en revanche mettre en danger l’équilibre économique d’un ménage, notamment lorsqu’ils sont souscrits dans l’urgence à des taux élevés.

Il est très frappant que les décideurs économiques les plus brillants et influents, ministres, directeurs de banques centrales, économistes renommés, analysent les pratiques financières des ménages, en notamment de leurs usages des crédits, en termes culturels et psychologiques : les ménages Américains aiment le crédit et l’aventure quand les Français, comme chacun sait, sont attachés à la pierre (car ils ont des ancêtres paysans – argument étrange, tant cette caractéristique est répandue à travers le monde) et sont prudents vis-à-vis du crédit car ils n’aiment pas le risque. Le cadre institutionnel et économique dans lequel ces pratiques se développent nous semblent être bien davantage explicatif.

La régulation bancaire transforme les pratiques : en France, la loi Lagarde de 2012 a fait diminuer les encours de crédit renouvelable, jugé problématique pour les emprunteurs, à travers une série de mesures techniques, en particulier l’augmentation des montants minimums de remboursement et l’obligation de proposer un crédit amortissable à partir de 1 000 euros. À l’inverse, l’exemple du Chili est celui d’un pays qui a ouvert son marché à des prêteurs venus avec des méthodes développées ailleurs, qui en quelques années ont faits des chiliens des utilisateurs patentés de cartes de crédit. La psychologie et la culture antérieures ont été transformées par le nouveau paysage économique, le tout dans un environnement de développement de la consommation et de grande pauvreté, créant des besoins importants de liquidité.

L’inclusion dans le système financier et les protections

Une question essentielle pour les politiques publiques est de savoir comment protéger au mieux les citoyens. Les filets de sécurité extensifs des États-providence s’amenuisent. Les garanties de stabilité de l’emploi diminuent. L’éducation financière est proposée à travers le monde comme une solution individuelle à ces transformations collectives. Si elle peut fournir quelques appuis aux choix économiques des ménages, elle ne peut compenser les pertes de revenu, le chômage, l’effondrement du patrimoine en cas de crise immobilière ou toutes ces autres raisons structurelles qui affectent l’économie domestique. Il est frappant de voir que les décideurs au niveau macro-économique considèrent que leurs politiques peuvent influer l’économie – en particulier en choisissant les niveaux de dettes publiques jugés sains ou menaçants, en fixant les taux d’intérêt, en injectant ou non des liquidités – mais que l’économie au sein des foyer (l’économies domestique) est présentée comme relevant de pratiques intimes, personnelles, sur lesquels les politiques économiques n’auraient rien d’autre à dire que la nécessité d’apprendre à tous à calculer un taux d’intérêt.

Les travaux sur le libéralisme montrent depuis longtemps le lien entre la grande liberté offerte aux capitaux et la demande accrue de responsabilité et morale individuelle. Des lors, les procédures mises en place lorsqu’une personne n’est pas en mesure de rembourser ses dettes diffèrent fortement d’un pays à l’autre. La possibilité pour des ménages endettés de pouvoir effacer leurs dettes, négocier avec les créanciers, établir des plans de remboursement viables est un outil de réglementation qui pallie l’instabilité.

Historiquement, la souplesse du marché du crédit est corrélée à la souplesse du régime de faillite civile. Les prêteurs partagent le risque avec les emprunteurs. Toutefois, dans les pays anglo-américains, les conditions d’effacement des dettes se sont durcies sous l’effet du lobbying des institutions de crédit, avec un argumentaire moral selon lequel celui qui a emprunté doit payer. En 2005, le changement de loi – qui a rendu l’effacement des dettes plus difficile, au profit d’un système de remboursement en 5 ans – a été présenté par le président d’alors, Georges W. Bush, comme le signe d’une « nation of personal responsibility ».

En France, le modèle est centré sur la constitution d’un plan de remboursement, même si l’effacement de dette est possible depuis 2003 et prend une importance croissante. Il existe toutefois de nombreux pays dans lesquels les individus ne disposent d’aucune solution en cas d’impossibilité de rembourser leurs crédits : ni banqueroute, ni plans de remboursement encadré légalement. Les créanciers peuvent les poursuivre leur vie durant et les effets individuels et collectifs, non seulement psychologiques mais également économiques, de cette absence de solution ne sont pas mesurés.

Ils prennent notamment la forme d’expulsions dont on sait les ravages sur les familles, les résultats scolaires des enfants et leur avenir. Face à cette menace, dans ses plans d’aide à la Grèce, le FMI a demandé la mise en place d’une procédure de surendettement destinée à aider les propriétaires de maison incapables de rembourser. Établie en 2010, celle-ci a provoqué une embolie des tribunaux. En revanche, le moratoire sur les expulsions décidé alors, et maintenu contre les pressions de la troïka (qui a toutefois obtenu en 2016 sa levée pour les biens d’une valeur supérieure à 140 000 euros), a empêché que ne se produise les mêmes phénomènes d’expulsion de masse qu’aux États-Unis ou qu’en Espagne.

Au niveau des États, l’exposition aux crédits globaux et l’ouverture des marchés obligataires se traduit de même par une exposition à des formes de droits et de devoirs exo-souverains. En souscrivant à la fin des années 1990 à des emprunts régentés par la loi de New York, l’Argentine a ainsi fait l’objet de poursuites juridiques de la part de grands fonds procéduriers (dit aussi vautours) pendant plus d’une décennie. Les risques juridiques pris par les États, émettant de la dette libellée non plus seulement dans une monnaie étrangère (le dollar) mais aussi conformément à un droit étranger (sur lequel leur loi n’est plus censée avoir de prise) correspondent à autant d’efforts pour attirer et convaincre les investisseurs du monde, bref pour devenir des « investis ».

Le plaidoyer, d’abord d’une partie du Fonds monétaire international en 2001, puis de l’Argentine de Cristina Kirchner – prise dans la tourmente du conflit avec les vautours – aux Nations Unies pour un tribunal des faillites souverains s’est heurtée à la réaffirmation de la morale fondamentale du marché : celui qui s’est endetté doit payer. De telles formes de punition, où les institutions rendent plus complexe, coûteux budgétairement et publiquement, l’effacement des dettes a cours régulièrement au cours de l’histoire au sein des institutions multilatérales : si parfois la situation exige d’effacer les dettes, tout doit se passer comme s’il s’agissait d’une épreuve douloureuse pour le débiteur afin de dissuader tout autre État de s’engouffrer dans telles situations. Personne ne doit sortir indemne de son surendettement.

Le pouvoir aux endettés ?

Peut-on ainsi affirmer – comme le laisse entendre la petite musique médiatique et politique du moment (dont Olivier Blanchard est un exemple parmi d’autres) – qu’avec les taux négatifs, le pouvoir est désormais entre les mains des endettés ? Aux États-Unis, pour souligner que le monde va à l’envers, le New York Times renverse les caractères de sa Une (du 12 septembre 2019, NDLR) consacrée aux « taux négatifs », soulignant que quelque chose ne tourne pas rond au royaume du capitalisme. Dès 2016, Jacques De Larosière, éminent serviteur de l’État financier en France, évoquait un « renversement des lois sociales », une menace sur un trait anthropologique fondamental de l’humanité : le placement de l’argent doit être rémunéré.

Aujourd’hui, la dette irait au bénéfice des débiteurs et nuirait aux rentiers. En réalité, de nombreux garde-fous sont déjà en place. La grande banque commerciale JP Morgan prévient qu’une nouvelle baisse des taux provoquera aux USA une augmentation des frais bancaires appliqués aux comptes des particuliers. Les taux d’intérêt négatifs, qui se traduisent en France par des emprunts obligataires, aux volumes aux taux records, ne signalent pas l’émergence d’une relance budgétaire et sociale d’ampleur. La préparation du projet de loi de finances pour 2020 annonce des arbitrages budgétaires tournés vers l’austérité : 7 062 suppressions de postes sont prévues dans la fonction publique d’État, dans les administrations centrales du ministère de la Santé et de l’Écologie. Tout se passe comme si la félicité des taux ne s’accompagnait pas d’une nouvelle épistémologie de la dette publique, d’une nouvelle manière de lui donner du sens.

Pour l’éditorialiste Marc Touati, très en verve ces derniers temps, les taux négatifs constitueraient plutôt un « piège », un « opium distribué par les Banques centrales », le « paradis artificiel » et « l’enfer » de ceux et celles qui vivent dans la réalité du marché et ses fondamentaux. À demi-mots, pointe le désir de réalisation de cette prophétie de malheur, car elle signalerait le retour à l’ordre « normal » des choses, c’est-à-dire à un marché qui sanctionne les bons et mauvais emprunteurs : « Normalement, un épargnant construit sur l’avenir, aujourd’hui, il perd de l’argent automatiquement. Celui qui s’endette, c’est lui qui en gagne. » Dans ces narrations, celui qui doit être protégé, rémunéré, félicité, encouragé ce n’est pas l’endetté, forcément coupable de sa condition, mais l’épargnant, ce personnage « méritant ».

Derrière la discussion sur les taux négatifs, plane l’ombre de l’inflation, construite depuis une trentaine d’année comme le mal absolu frappant les « petits », l’impôt des pauvres. Dans les faits, au tournant des années 1980, les salariés ont vu leurs revenus être désindexés de l’inflation quand, au contraire, les protections attachées aux contrats et placements des détenteurs d’obligations se sont multipliées. De même, des inégalités extrêmes fractionnent le groupe prétendument homogène et universel des épargnants [3]. Enfin, les petits budgets sont avant tout les victimes de la taxation indirecte, sur la consommation, seule légitime aux yeux des gouvernements et ce au détriment de prélèvements directs plus progressifs.

Les discussions sur les taux d’intérêts négatifs et leurs conséquences sur les économies domestiques des nations et des ménages, tout comme celles sur l’inflation, sur la régulation du crédit et les possibilités de surendettement, pour être vraiment efficaces, doivent intégrer les questions sociales qu’elles impliquent. Une bonne politique économique ne se mesure pas seulement à la croissance engendrée ou au nombre d’emplois créés (sans se soucier de leur qualité) et ne se terre pas derrière des agrégats économiques. Une bonne politique est celle qui rend explicite, afin de nourrir le débat démocratique, quelles fractions de la population elle favorisera et quelle société elle engendrera.

 

Cet article a été publié pour la première fois le 7 octobre 2019 dans AOC.


[1] Il est vrai que ce rapprochement fonctionne comme le véhicule d’idéologies néolibérales tendant à considérer l’État comme une entreprise ou un ménage « responsable » qui devrait agir conformément aux limitations propres à ce statut « domestique ». Comme nous le montrons, cette analogie se réalise de façon ambigüe.

[2] Au sujet du surendettement d’étudiants américains, voir le récent ouvrage de Caitlin Zaloom, Indebted: How Families Make College Work at Any Cost, Princeton University Press, 2019, 280 p.

[3] Si l’INSEE relève que 93% des Français disposent d’une épargne (Enquête Patrimoine 2018), les montants et les supports d’épargne sont très variables. Lorsque 13 % des Français déclarent se sentir pauvres et que 16% sont sous le seuil de pauvreté (Nicolas Duvoux et Adrien Papuchon, « Qui se sent pauvre en France ? », Revue francaise de sociologie, 2018, Vol. 59, no 4, p. 607‑647.), l’on peut légitimement interroger l’accès à l’épargne, sa distribution sociale, et se douter qu’entre une personne qui dépose quelques dizaines d’euros par an sur son livret A et une autre qui possède un patrimoine immobilier et investit en bourse, les niveaux d’épargne sont extrêmement variables. Dernier chiffre qui donne une idée de cette inégalité, en 2009, les revenus de 35 % des ménages français ne couvrent pas leurs dépenses, selon INSEE Première, n°1265, 17/11/2009. « Les inégalités entre ménages dans les comptes nationaux ».

Jeanne Lazarus

Sociologue, Directrice de recherches au Centre de sociologie des organisations Sciences Po-CNRS

Benjamin Lemoine

Sociologue, Chercheur au CNRS

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Notes

[1] Il est vrai que ce rapprochement fonctionne comme le véhicule d’idéologies néolibérales tendant à considérer l’État comme une entreprise ou un ménage « responsable » qui devrait agir conformément aux limitations propres à ce statut « domestique ». Comme nous le montrons, cette analogie se réalise de façon ambigüe.

[2] Au sujet du surendettement d’étudiants américains, voir le récent ouvrage de Caitlin Zaloom, Indebted: How Families Make College Work at Any Cost, Princeton University Press, 2019, 280 p.

[3] Si l’INSEE relève que 93% des Français disposent d’une épargne (Enquête Patrimoine 2018), les montants et les supports d’épargne sont très variables. Lorsque 13 % des Français déclarent se sentir pauvres et que 16% sont sous le seuil de pauvreté (Nicolas Duvoux et Adrien Papuchon, « Qui se sent pauvre en France ? », Revue francaise de sociologie, 2018, Vol. 59, no 4, p. 607‑647.), l’on peut légitimement interroger l’accès à l’épargne, sa distribution sociale, et se douter qu’entre une personne qui dépose quelques dizaines d’euros par an sur son livret A et une autre qui possède un patrimoine immobilier et investit en bourse, les niveaux d’épargne sont extrêmement variables. Dernier chiffre qui donne une idée de cette inégalité, en 2009, les revenus de 35 % des ménages français ne couvrent pas leurs dépenses, selon INSEE Première, n°1265, 17/11/2009. « Les inégalités entre ménages dans les comptes nationaux ».