Notes sur l’eurocentrisme tardif
Du point de vue de l’histoire récente de la pensée critique, deux événements majeurs nous interpellent aujourd’hui. D’une part, l’Europe n’est plus le centre de gravité du monde. Telle est, disais-je dans l’introduction de Critique de la raison nègre (2013), « l’expérience fondamentale de notre âge ».
Ceci ne veut pas dire qu’elle n’exerce plus aucune influence sur la marche du monde, ou encore qu’il faille désormais compter sans elle. Mais elle ne peut plus vivre dans l’illusion qu’elle peut en dicter, à elle seule, le cours. Ceci ne vaut pas seulement pour l’économie ou la puissance militaire et technologique. C’est aussi valable dans le champ de la culture, des arts et des idées.
D’autre part, on le voit bien, le risque est qu’à ce déclassement historique, à cette éclipse, d’aucuns, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, soient tentés de répondre soit par le nihilisme, soit par la surenchère idéologique (ou les deux), c’est-à-dire par ce que j’appelle un eurocentrisme tardif, encore plus ranci et plus virulent, encore plus sourd et aveugle et plus vindicatif que par le passé. Ce serait une forme d’égarement.
Chronologiquement, l’eurocentrisme tardif se situe dans le droit fil de deux poussées antérieures, aussi réactionnaires l’une que l’autre. Il s’agit, à l’origine, de l’eurocentrisme primitif, celui qui accompagna les conquêtes impériales, l’occupation militaire et l’exploitation des territoires coloniaux [1]. Il s’agit ensuite de l’eurocentrisme anti-tiers-mondiste qui, à partir des années 1950 se dressa contre les nationalismes anticoloniaux. Elle atteint son apogée dans les années 1970 avec la critique des théories de la dépendance et du développement inégal [2] et les tentatives d’instauration d’un ordre économique international plus juste [3]. C’était avant l’avènement du néolibéralisme dont l’eurocentrisme tardif est, pour ainsi dire, le rejeton.
Avec la mise sur orbite de la Chine, l’illusion de la suprématie a objectivement rencontré ses li