Rediffusion

La zone grise des stéréotypes

Politiste

Enjeu de politique publique depuis le quinquennat de François Hollande, la lutte contre les stéréotypes se heurte à plusieurs obstacles. Entre procès d’intention, défense des œuvres culturelles et diabolisation, une mise au clair s’avère indispensable. Rediffusion d’un article du 23 janvier 2024.

La langue française possède de nombreux mots pour dénoncer les rigidités de la pensée et les ressassements de l’expression : préjugés, lieux communs, idées reçues, poncifs, biais, truismes, raccourcis, a priori ont été, au cours des derniers siècles, la cible de moqueries.

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Parmi ces notions, celle de « stéréotype » a connu une fortune particulière. Généralement associé à des représentations rigides attribuant des caractéristiques et des comportements à des personnes en fonction de leur identité (les femmes sont…, les Asiatiques sont…), le stéréotype est aujourd’hui l’objet d’une dénonciation quasi unanime.

L’attention qu’il suscite provient du fait que les sociétés démocratiques sont non seulement traversées par des appels à la haine et à la violence explicites, mais aussi par des représentations apparemment anodines, largement diffusées dans la culture de masse, qui enferment des groupes dans des images. Toute discrimination, toute domination, toute entreprise de persécution semble indissociable de la construction symbolique d’un « autre » affublé de toutes les tares.

L’éternel retour des stéréotypes

La popularité actuelle du mot « stéréotype » ne doit pas faire oublier que la notion est déjà centenaire. Si l’on s’accorde pour accorder la paternité du concept au journaliste américain Walter Lippmann et son ouvrage Public Opinion de 1922[1], il a pris son essor – et sa signification actuelle – dans l’immédiat après-guerre, notamment dans les programmes et les publications de l’UNESCO, dont l’acte fondateur proclamait : « Les guerres naissant dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut construire les défenses de la paix[2] ». Il s’agissait alors de lutter contre les images négatives, qu’elles soient « dans nos têtes[3] » ou dans l’espace public. Plusieurs conventions internationales ont poursuivi cet objectif – par exemple la Convention de l’ONU de 1979, par laquelle les états signataires s’engageaient à éliminer les préjugés « fondé


[1] Walter Lippmann, Public Opinion, New York, MacMillan, 1965 (1922).

[2] Convention créant une Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, 1945.

[3] Walter Lippmann qualifiait les stéréotypes d’ « images dans nos têtes » (Public Opinion, op. cit., p. 3).

[4] Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, art. 5.

[5] Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, art. 1.

[6] « Nonna Mayer – Les stéréotypes antisémites gardent un certain impact dans une petite partie de la gauche », Le Monde, article publié en ligne le 10 novembre 2023.

[7] « Les raisons de la colère », Mediapart, tribune publiée en ligne le 17 décembre 2022.

[8] « “Peter Pan”, “Les Aristochats”… Disney met en garde contre des clichés racistes dans certains de ses classiques », Le Monde, article publié en ligne le 20 octobre 2020.

[9] Voir la polémique suscitée par la réécriture de certains passages de romans de Roald Dahl en Grande-Bretagne (Antoine Oury, « Shocking ? Réécrire Roald Dahl, “pour le rendre appréciable par tous” », ActuaLitté, publié en ligne le 20 février 2023).

[10] Cour d’appel, Paris, Pôle 2, ch. 7, 28 novembre 2013, Sos Racisme et a. c/ D. Mbala Mbala et a.

[11] Tribunal Correctionnel de Paris, 17e Chambre, 17 janvier 2022.

[12] Cour d’appel de Versailles, 3e chambre, 19 mai 2011.

[13] Cour d’appel de Bruxelles, 9e chambre, 28 novembre 2012, 2012/AR/470..

[14] Voir la critique du film Intouchables publiée sur le site américain Variety le 39 septembre 2011, dans laquelle Jay Weissberg n’hésite pas à comparer le film d’Olivier Nakache et Éric Tolédano à La Case de l’oncle Tom.

Denis Ramond

Politiste, Post-doctorant à l'Université de Québec à Trois-Rivièress

Notes

[1] Walter Lippmann, Public Opinion, New York, MacMillan, 1965 (1922).

[2] Convention créant une Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, 1945.

[3] Walter Lippmann qualifiait les stéréotypes d’ « images dans nos têtes » (Public Opinion, op. cit., p. 3).

[4] Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, art. 5.

[5] Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, art. 1.

[6] « Nonna Mayer – Les stéréotypes antisémites gardent un certain impact dans une petite partie de la gauche », Le Monde, article publié en ligne le 10 novembre 2023.

[7] « Les raisons de la colère », Mediapart, tribune publiée en ligne le 17 décembre 2022.

[8] « “Peter Pan”, “Les Aristochats”… Disney met en garde contre des clichés racistes dans certains de ses classiques », Le Monde, article publié en ligne le 20 octobre 2020.

[9] Voir la polémique suscitée par la réécriture de certains passages de romans de Roald Dahl en Grande-Bretagne (Antoine Oury, « Shocking ? Réécrire Roald Dahl, “pour le rendre appréciable par tous” », ActuaLitté, publié en ligne le 20 février 2023).

[10] Cour d’appel, Paris, Pôle 2, ch. 7, 28 novembre 2013, Sos Racisme et a. c/ D. Mbala Mbala et a.

[11] Tribunal Correctionnel de Paris, 17e Chambre, 17 janvier 2022.

[12] Cour d’appel de Versailles, 3e chambre, 19 mai 2011.

[13] Cour d’appel de Bruxelles, 9e chambre, 28 novembre 2012, 2012/AR/470..

[14] Voir la critique du film Intouchables publiée sur le site américain Variety le 39 septembre 2011, dans laquelle Jay Weissberg n’hésite pas à comparer le film d’Olivier Nakache et Éric Tolédano à La Case de l’oncle Tom.