La zone grise des stéréotypes
La langue française possède de nombreux mots pour dénoncer les rigidités de la pensée et les ressassements de l’expression : préjugés, lieux communs, idées reçues, poncifs, biais, truismes, raccourcis, a priori ont été, au cours des derniers siècles, la cible de moqueries.

Parmi ces notions, celle de « stéréotype » a connu une fortune particulière. Généralement associé à des représentations rigides attribuant des caractéristiques et des comportements à des personnes en fonction de leur identité (les femmes sont…, les Asiatiques sont…), le stéréotype est aujourd’hui l’objet d’une dénonciation quasi unanime.
L’attention qu’il suscite provient du fait que les sociétés démocratiques sont non seulement traversées par des appels à la haine et à la violence explicites, mais aussi par des représentations apparemment anodines, largement diffusées dans la culture de masse, qui enferment des groupes dans des images. Toute discrimination, toute domination, toute entreprise de persécution semble indissociable de la construction symbolique d’un « autre » affublé de toutes les tares.
L’éternel retour des stéréotypes
La popularité actuelle du mot « stéréotype » ne doit pas faire oublier que la notion est déjà centenaire. Si l’on s’accorde pour accorder la paternité du concept au journaliste américain Walter Lippmann et son ouvrage Public Opinion de 1922[1], il a pris son essor – et sa signification actuelle – dans l’immédiat après-guerre, notamment dans les programmes et les publications de l’UNESCO, dont l’acte fondateur proclamait : « Les guerres naissant dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut construire les défenses de la paix[2] ». Il s’agissait alors de lutter contre les images négatives, qu’elles soient « dans nos têtes[3] » ou dans l’espace public. Plusieurs conventions internationales ont poursuivi cet objectif – par exemple la Convention de l’ONU de 1979, par laquelle les états signataires s’engageaient à éliminer les préjugés « fondé