Rediffusion

Entre écriture et existence – à propos d’Edith Bruck

Professeur de littérature comparée

Chanceux lecteurs que nous sommes de pouvoir découvrir cette d’année la force poétique et narrative d’Edith Bruck, née en Hongrie, déportée à Auschwitz aux prémices de son adolescence, installée en Italie dont elle a choisi la langue pour faire œuvre. Témoin inconditionnel de la Shoah, c’est aussi la possibilité d’une existence après l’expérience concentrationnaire qu’elle raconte, non sans séparations, fuites et inconforts mais toujours avec l’appétit de vivre. Rediffusion du 15 février 2022

Ce début 2022 permet de découvrir Edith Bruck, écrivaine et poétesse, encore quasiment inconnue du lectorat francophone. Son œuvre est pourtant considérable, aussi bien en intensité de par son style simple et dense à la fois, qu’en nombre, une vingtaine d’ouvrages, et en variété, du récit au poème, de l’essai narratif au scénario ou à la pièce de théâtre. Elle obtient en Italie en 2021 des prix importants, le Strega Giovani (sorte de Goncourt des lycéens) et, pour la seconde fois, le Viareggio. On trouve ainsi en librairie trois de ses ouvrages traduits en français. Ce sont les deux récits Le Pain perdu (2022) aux Éditions du sous-sol et Qui t’aime ainsi (1959) en Points Seuil, respectivement traduits par René de Ceccatty et Patricia Amardeil, et le recueil de poèmes Pourquoi aurais-je survécu ? (2021) chez Rivages Poche, traduit et préfacé par René de Ceccatty.

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C’est là un ensemble qui donne la mesure de la force poétique et narrative de cette auteure née en Hongrie en 1931, juive déportée à Auschwitz à l’âge de 13 ans, qui s’assume en témoin inconditionnel, sans concession aux arrangements ni aux réconciliations d’aucune sorte. Elle vit en Italie depuis le milieu des années 1950, seule terre où elle a accepté d’être vraiment accueillie, seule langue qu’elle a définitivement adoptée.

Une œuvre peut se constituer de la reprise et de la réécriture d’épisodes de la vie. Plus elle va de l’avant, plus elle prend la tournure d’une fouille de ses propres arcanes par l’auteur(e), se frayant un chemin entre écriture et existence. Alors, ce n’est pas en cherchant son originalité ou son « authenticité » que l’on en trouvera le génie, mais dans les réajustements incessants de leurs successives reformulations, entre rappels de faits immémoriaux et mises en scène des approximations de la mémoire.

Souffle, en effet, c’est ce qu’Edith Bruck prodigue à qui découvre ces pages pour ne les laisser qu’après les avoir bues, toutes, malgré l’âpreté de nombreux passages, d’un tr


Philippe Mesnard

Professeur de littérature comparée, Université Clermont Auvergne