Rediffusion

Comment conduire en lâchant le volant – sur Ferdinand de Louis Zukofsky

Écrivain

Seul roman du poète américain Louis Zukofsky, et traduit pour la première fois en français, Ferdinand peut passer pour un roman de formation : il y a un voyage, des étapes, une confrontation avec le monde, sur fond de guerres mondiales, entre l’Europe et les États-Unis. Ce grand petit livre est peut-être un pas de côté dans l’œuvre du père de la poésie objectiviste. Mais il impose sa marque. Rediffusion d’un article du 20 mai 2024.

La publication des Poésies de Melville l’an passé avait été l’occasion de percevoir la part de la poésie dans l’œuvre d’un des plus grands romanciers du XIXe siècle. La publication cette année de Ferdinand de Zukofsky est l’occasion de percevoir la part du roman dans l’œuvre d’un des plus grands poètes du XXe siècle.

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Zukofsky n’est pas le plus connu des poètes américains. Il n’en est pas moins l’un des plus éminents. Né au début du siècle de parents émigrés lituaniens, il a grandi dans le ghetto juif du Lower East Side, il a fréquenté la panoplie des classiques avant dix ans, il a étudié à l’université de Columbia, il s’est passionné pour une littérature d’avant-garde lancée à l’assaut des fantômes d’une vieille culture bourgeoise, il s’est immergé dans Le Capital de Marx et n’hésitait pas à se dire communiste.

À vingt-sept ans, il a un rôle déterminant dans le numéro de la revue Poetry qui énonce les bases de ce qu’on nomme l’objectivisme et qui déplace le regard de la poésie vers « les choses ». La ligne directrice fixe un objectif : « La lentille amenant les rayons d’un objet à un foyer » – et dans un « (Usage étendu à la poésie) – Désir de ce qui est objectivement parfait, inextricablement la direction des singularités historiques et contemporaines. »

Les lentilles nous renvoient à son philosophe de prédilection, Spinoza, qui s’esquintait les poumons à polir des lentilles de verre entre deux scolies bien serties. Sa familiarité avec la pensée de Spinoza le conduisait parfois à l’appeler par son petit nom, Baruch, voire lui donner le surnom de Spinny. Parallèlement, il développe une passion pour la musique en général, pour Bach en particulier, dont il apprécie notamment la rigueur arithmétique et géométrique des démonstrations.

Mais qui est ce Ferdinand qui donne donc le titre et un relief particulier au roman ? D’où vient ce nom ? On peut s’amuser à suivre au moins deux pistes. La première renvoie à son contemporain Munro Leaf qui a publié quelques ann


Bernard Chambaz

Écrivain, Poète