Rediffusion

Emmanuel Macron, de Jupiter à Neptune

Juriste

Emmanuel Macron serait-il en train de dégringoler des cimes de l’Olympe aux tréfonds des océans ? Une série de sondages indiquent un décrochage inédit. Sans aucun doute le résultat d’annonces approximatives et de décisions qui, depuis un an, ont déçu les espoirs de ses électeurs en tournant le dos à son « projet ». Rediffusion d’été.

Le premier échec retentissant du quinquennat d’Emmanuel Macron est d’avoir manqué à son engagement publiquement pris le 27 juillet 2017 à Orléans de ne plus laisser une seule personne sans abri en France d’ici à la fin de l’année, qu’elle soit sans domicile fixe, demandeuse d’asile ou migrante. Relisons-le : « La première bataille, c’est de loger tout le monde dignement. Je ne veux plus, d’ici à la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois, ou perdus. C’est une question de dignité, c’est une question d’humanité et d’efficacité là aussi. »

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Après que le président de la République a chanté tout l’été 2017, quand la bise fut venue, il y avait, ainsi que chacun a pu le constater, des femmes, des hommes mais aussi des enfants dans des rues, des bois, des forêts, des plages, et même des montagnes enneigées de France.

Et pour cause : entre ces deux dates, pas une seule initiative concrète n’a été menée pour augmenter les places d’hébergement d’une manière plus volontariste que ce qui est classiquement prévu par les plans annuels d’hébergement hivernal. Médias comme associations humanitaires tiraient dès le début de l’année 2018 le même constat : « Sans-abri : un décalage entre les annonces du président et les faits. Alors que l’hébergement est saturé, l’action du gouvernement est dérisoire. » Dans son rapport annuel sur L’État du mal-logement en France, la Fondation Abbé-Pierre précisait : « La France de 2018 compte hélas certainement plus de 143 000 personnes sans-domicile. Une situation qui occasionne 500 décès de la rue recensés chaque année par le Collectif Les Morts de la Rue, et sans doute 4 ou 5 fois plus d’après certaines analyses épidémiologiques, et qui constitue le symptôme le plus spectaculaire de la crise du logement. »

La République a non seulement méconnu le principe de dignité de la personne humaine, mais l’a délibérément et activement violé.

Que déduire de la perte définitive et irrévocable de ce qui était présenté par le président de la République lui-même comme la mère de toutes les batailles, de ce manquement à la parole publique comme de cette procrastination, de cet empressement à ne rien faire – au-delà de la communication publique ? Qu’au niveau institutionnel, la République a non seulement méconnu le principe de dignité de la personne humaine, mais l’a délibérément et activement violé lorsque les forces de l’ordre ont lacéré les tentes et jeté dans des bennes les couvertures de migrants vivant dans les rues à Paris ou à Calais. Qu’à titre personnel, le président de la République a sabordé l’exigence d’efficacité dont il s’était alors réclamé et qu’il invoque tous azimuts. Son thuriféraire en chef, Christophe Castaner, a ajouté l’indignité morale à l’indignité politique en faisant reposer, le 29 décembre 2017, l’échec personnel du président de la République sur le mauvais vouloir supposé des sans domicile fixe : « Il y a des hommes et des femmes qui refusent aussi, dans le cadre des maraudes, d’être logés parce qu’ils considèrent que leur liberté – et je n’ai pas à juger de savoir si c’est bien ou pas – les amène à ne pas être en sécurité, à l’aise, dans ces centres (d’accueil). »

Ce qu’il y a de plus stupéfiant dans cet engagement présidentiel, ce n’est pas tant qu’il a été méconnu – il ne pouvait en aucune manière être honoré – que le simple fait qu’il a pu être énoncé. Les propos du 27 juillet 2017 sont irréalistes, fantaisistes, improbables ; dans la bouche de toute personne qui ne serait pas présidente de la République, ils auraient été moqués comme ridicules, déconnectés de la réalité du terrain, théoriques, démagogiques, insensés, éhontés. Mais le président de la République bénéficie de la présomption de crédibilité que lui confère l’élection au suffrage universel direct, quelle que soit la faiblesse relative de son résultat au premier tour : être « aux manettes » de l’État autorise à faire des annonces totalement bidon, approximatives ou farfelues, aussitôt relayées, analysées, disséquées, saluées ou critiquées, et donc prises au sérieux par la quasi-totalité des médias, assurant sans coup férir une part de la communication de l’Elysée.

En voici quelques exemples, en vrac : abriter tous les sans-abri ; créer des hotspots en Libye ; « ne plus vouloir de personnes vivant en situation de handicap qui soient sans solution » (3 mai 2017) ; réduire l’imposition des plus riches pour favoriser leurs investissements en France ; créer une task force de 20 personnes à l’Elysée pour éviter les attentats terroristes sur le territoire national ; instituer un service militaire obligatoire d’un mois pour 600 000 jeunes adultes par an ; peser sur la décision du président américain de revenir (ou pas) sur l’accord de la COP 21 relatif au climat ou sur l’accord relatif au nucléaire iranien ; introduire la proportionnelle pour l’élection des députés français « dès 2017 » ; faire du Conseil économique, social et environnemental la « chambre du futur » ; instituer un Parlement de la zone euro alors qu’il existe déjà un Parlement européen ; annoncer le 17 décembre 2017 la victoire contre Daech en Syrie « mi ou fin février » 2018 ; décider le 27 mars 2018 cet « acte rare dont la portée historique est majeure » consistant à fixer à partir de 2019 à trois ans l’âge de l’instruction obligatoire, ce qui ne changera rien en pratique dès lors que 97,7% des enfants de trois ans sont déjà scolarisés et que la loi exigera l’instruction et non la scolarisation ; établir des listes transnationales aux élections européennes sans modifier préalablement le droit européen qui ne le prévoit pas ; doubler le nombre d’élèves dans les lycées français à l’étranger ; créer une présomption irréfragable de culpabilité en considérant qu’est nécessairement un viol toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur de 15 ans ; bloquer en 48 heures les « fausses nouvelles » diffusées sur internet en période électorale ; en finir avec les outrages sexistes sur la voie publique en instaurant une nouvelle contravention dans le Code pénal ; créer 15 000 places de prison en 5 ans ; supprimer la taxe d’habitation sans la remplacer par un nouvel impôt ; supprimer 70 000 postes dans la fonction publique territoriale, inscrire à l’article 1er de la Constitution le principe d’égalité des sexes qui figure dans la Constitution depuis 1958 via le 3e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946… Par contraste, il est vraisemblable que Mme Michu, M. Bidochon, l’auteur et le lecteur de ces lignes auraient été irrémédiablement discrédités auprès de leur maigre auditoire s’ils avaient énoncé les mêmes propositions au même moment, au comptoir du café du commerce. Imaginez : « Si j’étais président de la République, je déciderais qu’il ne doit plus y avoir une seule personne sans abri d’ici à la fin de l’année !»

De sa première année de mandat, les Français ont pu effectivement constater, en pratique, au quotidien, dans la « vie des gens », six réalisations d’envergure et six seulement.

Le 23 avril 2017, Emmanuel Macron a représenté, pour une majorité très relative d’électeurs, le moins inacceptable des candidats à la présidence de la République. Las ! De sa première année de mandat, les Français ont pu effectivement constater, en pratique, au quotidien, dans la « vie des gens », six réalisations d’envergure et six seulement [1] : la réduction des garanties bénéficiant aux salariés (facilitation des licenciements, plafonnement des indemnités prud’hommales, limitation de la représentation dans l’entreprise…), la baisse de 5 euros par mois des aides personnalisées au logement, la suppression des emplois aidés, l’augmentation de contributions fiscales (la contribution sociale généralisée, les taxes sur les tabacs et carburants), la diminution de la taxation des plus aisés et la mise en place avec Parcoursup pour les élèves de terminale d’une usine à gaz comme sas d’entrée dans l’enseignement supérieur, guère plus efficace que l’ancien système APB, instaurant une sélection totalement opaque, insuffisamment réfléchi, d’une complexité juridique et pratique inouïe et épouvantablement anxiogène sur plusieurs mois pour un nombre conséquent d’élèves peinant à obtenir un « oui ».

Pendant ce temps, le pouvoir d’achat s’est dégradé (-0,7% au premier trimestre 2018) entraînant une baisse de la consommation des ménages, les tarifs réglementés du gaz ont augmenté de 7,5% au 1er juillet 2018 (c’est la plus forte hausse des six dernières années), le nombre de chômeurs inscrits en catégorie A à Pôle emploi s’est accru de 21 000 entre février et mai 2018, les investissements des entreprises ont été en berne, l’inflation a explosé (augmentation de 2% entre mai 2017 et mai 2018), les dons aux personnes morales faisant appel à la générosité publique ont chuté de 50% du fait du remplacement de l’ISF par l’IFI, et les dépenses publiques ont été « en très forte hausse », ainsi que l’a relevé la Cour des comptes dans son rapport sur Le Budget de l’Etat en 2017 publié le 23 mai 2018, à rebours de la promesse électorale de les réduire que la même Cour des comptes a jugée inatteignable en l’état dans un rapport publié le mois suivant.

Quelle(s) catastrophe(s) ! Pour quelqu’un qui se présente comme un réformateur, qui affirme vouloir « transformer le réel » (quel dirigeant public n’a pas cette ambition ?), qui garantissait en juillet 2017 une hausse inédite du pouvoir d’achat dès janvier 2018 [2], un abysse sépare l’image projetée des réalisations effectuées… À l’expérience, le Jupiter de mai 2017 est devenu « Manu » le 18 juin 2018, un homme cerné de gardes du corps et séparé des Français par des barrières de sécurité, admonestant et tutoyant sans pédagogie ni bienveillance l’adolescent qui l’interpellait trop familièrement. La chute de l’Olympe a été brutale ; elle n’est peut être pas achevée. À ce rythme, Jupiter risque de se transformer en Neptune.

Elle était inévitable car, contrairement aux promesses de campagne, nous sommes plus que jamais gouvernés par une « caste » de technocrates auquel s’agrège un groupuscule de politiciens recyclés de « l’ancien monde », qui chaque jour démontre son absence de maîtrise suffisante des dossiers.

Ainsi, le président de la République peut annoncer s’en remettre aux services de renseignements pour décider si l’état d’urgence doit ou non être prorogé ; il peut décréter sur une intuition, sans faire aucune étude d’impact ou de faisabilité préalable, qu’un service militaire universel d’un mois sera institué ; il peut vouloir une loi pour contrer les « infox » sans être en mesure de les définir autrement que par sa propre subjectivité ; il peut erronément qualifier les mamans voilées en sortie scolaire de « collaboratrices occasionnelles du service public » ou de « quasi-fonctionnaires» pour considérer qu’elles ne devraient pas porter le voile ; il peut énoncer ce sophisme selon lequel les minima sociaux ne seraient pas utiles puisque « les gens pauvres restent pauvres » [3] ; il peut unilatéralement décider de la suppression de « l’exit tax » sans jamais qu’un bilan sérieux de son (in)utilité ait été préalablement effectué ; il peut vanter la disparition de la taxe d’habitation sans dire par quoi cet impôt devra être remplacé ; il peut confondre immigration et demandes d’asile [4] ; il peut annoncer le 15 avril 2018 une réforme de l’hôpital dont le contenu aurait dû être dévoilé « fin mai, début juin », sans que cela n’empêche la ministre de la Santé de reporter à septembre cette réforme dont il appartient à des experts de dessiner des contours encore mystérieux mais qui sont – qui en douterait ? – présentés comme révolutionnaires ; le 4 juillet 2018, la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes peut, via Twitter, faire savoir que le gouvernement a décidé d’abandonner son souhait d’instituer le contreproductif délit « d’atteinte sexuelle avec pénétration » qu’il était envisagé de créer dans la loi de lutte contre les violences sexistes et sexuelles en débat au Parlement, en remplacement de l’engagement initial (inconstitutionnel) de créer une présomption absolue de viol en cas de relations sexuelles entre un mineur de 15 ans et un adulte. À cela s’ajoute l’arrogance manifestée semaine après semaine à l’encontre des pauvres, des cheminots, des étudiants « grévistes », des jeunes qui ne savent pas encore se nourrir, des fainéants, des associations d’aide aux migrants, des humanitaires accusés de « faire le jeu des passeurs » lorsqu’ils interviennent en mer pour sauver les migrants de morts certaines, des illettrés, de « ceux qui ne sont rien », des Bretons…

L’actuel résident de l’Élysée n’a (encore ?) du lustre, par contraste, qu’au regard d’un héritage fait de petitesses, de roublardises, de parjures, de traîtrises, d’improbités, de lâchetés, de discrédits à porter au passif de tous les dinosaures de la politique auxquels il a succédé.

Reste qu’avec encore plus de chance que celle dont il a déjà bénéficié, Emmanuel Macron sera éventuellement le meilleur des présidents de la Ve République depuis 1981, sinon depuis Charles de Gaulle. Cela n’en fait et n’en fera pas pour autant, loin s’en faut, un bon décideur public, tant ses prédécesseurs n’ont pas été à la hauteur de la fonction : l’actuel résident de l’Élysée, inconnu du grand public trois ans avant son élection, n’a (encore ?) du lustre, par contraste, qu’au regard d’un héritage fait de petitesses, de roublardises, de parjures, de traîtrises, d’improbités, de lâchetés, de discrédits à porter au passif de tous les dinosaures de la politique auquel il a succédé et que les électeurs ont écartés de son chemin. En clair : l’actuel président de la République est moins incompétent que ses derniers prédécesseurs. Avec beaucoup de réussite, le quinquennat du président Macron pourra être moins pire que les quinquennats ou septennats antérieurs. Qui pourrait cependant se satisfaire d’un tel non-résultat ?

Peut-être demeure-t-il l’infime espoir d’une heureuse surprise si le président de la République se mettait, l’expérience aidant, à répondre aux fortes attentes qu’il avait su susciter, à dé-monarchiser la fonction qu’il occupe, à recréer des corps intermédiaires, à renouveler la vie démocratique, à revaloriser les services publics nationaux plutôt que de déplorer leur inefficacité ou que de les brader aux investisseurs qui ne pourront que les détraquer avant que l’État ne leur rachète au prix fort ou qu’en augmenter les tarifs par souci de rentabilité, à faire des droits de l’homme le principal guide de l’action publique nationale et internationale, à rééquilibrer une politique économique et sociale très à droite, et à cesser de transférer vers l’élite financière minuscule, au prétexte d’un improbable « renvoi d’ascenseur » à venir, l’argent de tous les laissés-pour-compte de sa politique.

Autrement, si la « pyramide de Ponzi » issue des élections d’avril, mai et juin 2017 devait continuer de s’effriter avant de s’écrouler tel un château de cartes au fur et à mesure que toujours moins de citoyens accordent leur confiance aux autorités nationales, si un président de la République qui veut faire « disrupter » – anglicisme prisé du milieu des affaires, qui signifie électriser, morceler, perturber, éclater – son pays s’avérait être un danger pour la démocratie elle-même tant il crée de tensions sociales, il faudra souhaiter que le « dégagisme », qui explique pour une large part les résultats des élections présidentielle et législatives de 2017, fasse de nouveau son œuvre, cette fois à l’égard des « dégageurs » d’hier, tel le va-et-vient d’un essuie-glace qui ne donne une bonne visibilité qu’à l’issue du second mouvement. Un « dégagisme » au carré pour que s’éloigne enfin la queue de comète du « vieux monde ».

Les lignes qui précèdent constituent une version remaniée de la conclusion de l’ebook « La République du futur. Penser l’après start-up nation » en libre accès et gratuitement téléchargeable depuis le 27 juin 2018 via ce billet de blog.

Cet article a été publié pour la première fois le 9 juillet 2018 sur AOC.


[1] Auxquelles il serait possible d’ajouter, en positif, le dédoublement de certaines classes de CP, mais leur nombre est si faible et la mesure si concentrée sur des zones géographiques et une seule année scolaire qu’elle a des conséquences concrètes de moyen et de long termes nulles.

[2] Le Premier ministre avait garanti, en août 2017, «une hausse jamais vue du pouvoir d’achat» ; et le ministre de l’Action et des comptes publics, en décembre 2017, avait invité les français à vérifier sur leur feuille de paie de janvier 2018 que leur pouvoir d’achat aurait alors augmenté.

[3] Voir aussi la réponse faite le 29 mai 2018 par le ministre de l’Action et des comptes publics à la question « combien y a-t-il d’aides sociales en France ? » : « Je ne sais pas, mais il y en a trop. »

[4] En témoigne son tweet du 15 juin 2018 : « La réalité de l’immigration en Europe : cette année l’Italie a reçu 18 000 demandes d’asile, la France 26 000. »

Paul Cassia

Juriste, Professeur de droit public à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

Notes

[1] Auxquelles il serait possible d’ajouter, en positif, le dédoublement de certaines classes de CP, mais leur nombre est si faible et la mesure si concentrée sur des zones géographiques et une seule année scolaire qu’elle a des conséquences concrètes de moyen et de long termes nulles.

[2] Le Premier ministre avait garanti, en août 2017, «une hausse jamais vue du pouvoir d’achat» ; et le ministre de l’Action et des comptes publics, en décembre 2017, avait invité les français à vérifier sur leur feuille de paie de janvier 2018 que leur pouvoir d’achat aurait alors augmenté.

[3] Voir aussi la réponse faite le 29 mai 2018 par le ministre de l’Action et des comptes publics à la question « combien y a-t-il d’aides sociales en France ? » : « Je ne sais pas, mais il y en a trop. »

[4] En témoigne son tweet du 15 juin 2018 : « La réalité de l’immigration en Europe : cette année l’Italie a reçu 18 000 demandes d’asile, la France 26 000. »