Rediffusion

Que serait une écologie vraiment populaire ?

Femme politique

L’intervention de la Suédoise Greta Thunberg à l’Assemblée nationale mercredi 23 juillet et les nombreuses manifestations étudiantes pour le climat de cette année apportent la preuve que les nouveaux visages de l’écologie politique sont jeunes, internationaux et déterminés. Parvenant à casser les codes de la récupération politique, ces nouveaux lanceurs d’alerte redonnent un sens à l’expression galvaudée d’écologie populaire. Rediffusion du 4 mars 2019.

« L’écologie à la française doit être une écologie populaire. »  Cette phrase d’Emmanuel Macron lancée en novembre 2018, en réponse aux gilets jaunes ressemble fort à un simple effet d’estrade. Comment le président de la République envisage-t-il de donner un contenu concret à la formule ? Jean-Luc Mélenchon, François Ruffin, d’autres à gauche, ont aussi abondamment utilisé l’expression d’écologie populaire pour pointer cette fois, l’injustice sociale de l’augmentation de la taxe carbone et d’une politique pensée d’en haut par des nantis.

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Celle-ci  n’est même pas propriété de la gauche. En 2009, quelques mois après le succès d’Europe écologie aux élections, dans la foulée du Grenelle de l’environnement, Nicolas Sarkozy n’avait pas hésité à définir devant les cadres de l’UMP « son » écologie populaire, celle de la croissance durable qui permet de sortir du chômage et de la misère. Pour l’année suivante, décréter péremptoire au Salon de l’agriculture, « l’environnement ça commence à bien faire ». L’écologie populaire de droite était mort-née. Sans doute réapparaitra-t-elle dans un autre discours porté par un autre leader de droite à un autre moment. Voire par Marine Le Pen.

L’écologie populaire apparaît ainsi au détour d’un discours, des circonstances, à droite comme à gauche. Elle flotte. Car associer écologie et populaire c’est surtout aujourd’hui l’aveu d’une forme d’impuissance politique, ou en tout cas de grande interrogation laissée sans réponse. Les fins de mois et la fin du monde diraient certains.

Mais l’écologie est déjà populaire et représente un nouvel horizon démocratique.

Comment la définir alors ? S’agit-il de mettre les bienfaits d’un mode de vie plus sain à la portée de tous, alors que ce sont aujourd’hui davantage ceux qui ont les moyens qui en profitent ou échappent aux problèmes de santé liés à l’environnement ? De construire des logements mieux isolés, d’autres lignes de transport en commun, d’organiser la présence de la nature partout en ville et surtout dans les quartiers les moins favorisés ? Ou d’investir massivement pour transformer l’agriculture conventionnelle en agriculture bio et donner un revenu décent aux agriculteurs ? Mais ne convient-il pas surtout que les dirigeants politiques comprennent enfin que l’écologie est en train de devenir populaire, est déjà populaire et représente un nouvel horizon démocratique ?

L’écologie populaire est aussi une invitation à regarder ailleurs, du côté des mouvements indigènes, des sans terre indiens, du mouvement Via Campesina qui associe partout dans le monde des communautés qui luttent pour le droit à la souveraineté alimentaire et le respect des fermes paysannes.

Sur le site du grand débat national lancé par le gouvernement, l’écologie mise à la portée de tous est réduite au désir (ou à la nécessité) de changer sa vieille voiture ou sa chaudière, au classement du pire entre réchauffement climatique et perte de biodiversité, ou à la connaissance des aides publiques. C’est l’écologie des fins de mois ; elle est à la fois triste et corsetée. Mais la lecture des contributions individuelles des citoyens est là pour surprendre. Elle surprend car elle esquisse à n’en pas douter un projet de société. Ceux qui écrivent n’hésitent pas à penser loin, pour évoquer les oiseaux, les arbres et la mer, les petites lignes de train, l’Afrique ou la Chine, et surtout réclamer plus de justice climatique et d’ambition collective. Taxer davantage les grands pollueurs, établir enfin les liens entre santé et environnement, développer des transports en commun gratuits ou très peu chers, prendre en compte l’avenir, ces propositions mêlent rêves, angoisses, déception démocratique et une forme de réalisme.

La précarité affleure parfois au détour d’une phrase, le rappel d’un handicap, d’une maladie, le glyphosate est souvent cité, devenu comme un symbole des empoisonnements de l’homme et de la nature par la chimie. Le décalage est saisissant entre les questions officielles qui restreignent le champ et les aspirations au changement qui vont du plus large au plus quotidien sans effort. Car aujourd’hui la vie est comme ça. Il y a une part d’écologie dans chaque jour qui passe.

Se dessine ainsi dans ces textes les contours d’une écologie populaire où les enjeux sociaux se mêlent étroitement à l’aspiration à la justice, la démocratie et l’envie d’une perspective de vie.

Que l’écologie populaire porte aujourd’hui un puissant enjeu de justice est attesté par l’ampleur des crises environnementales qui affectent les plus démunis, ceux qui ne savaient pas. Dernière en date, celle du chlordécone, cet insecticide destiné à lutter contre le charançon noir du bananier aux Antilles où les ouvriers agricoles courent encore des risques importants de contamination, et où l’action des lobbies a permis l’utilisation de cette substance interdite aux États-Unis dès 1976 jusqu’au milieu des années 1990. Pensons aussi aux actions toujours en cours sur l’amiante. Ou bien sûr au combat de l’agriculteur Paul François contre Monsanto, aux dizaines de témoignages recueillis par l’association Générations futures sur les effets du glyphosate sur la santé d’agriculteurs.

Un investissement dans un autre futur est nécessaire, avec d’autres politiques publiques, d’autres critères de décision, de nouvelles temporalités.

La justice sait identifier et reconnaître les responsabilités, indemniser, compenser, et surtout décider d’agir autrement. Autrement en construisant des politiques de transformation écologique adaptées aux populations et aux territoires les plus démunis, touchés par les inégalités sociales et environnementales.

Ce sont au premier chef les politiques de santé publique (alimentation, lutte contre toutes les pollutions du sol, de l’air, des lieux de vie et de travail), de logement, et de transport qui sont concernées. Aujourd’hui les inégalités environnementales sont mal évaluées dans la vie professionnelle ou l’espace privé. Dans la santé l’ampleur des déséquilibres a été longtemps sous-estimée, ignorée. C’est un investissement, en moyens humains et financiers, un investissement dans un autre futur, qui est nécessaire, avec d’autres politiques publiques, d’autres critères de décision, de nouvelles temporalités.

En fondant sa démarche sur la promotion d’aides individuelles, le gouvernement passe complètement à côté des enjeux collectifs et de système. Il agit en imaginant chaque citoyen accroché à son porte-monnaie, lorsque ce qui s’exprime à corps et à cris c’est une demande de justice et de droits : le droit d’avoir accès à des modes de vie sains et respectueux de l’environnement aujourd’hui réservés aux plus aisés, le droit à être informé en connaissance de cause, le droit à peser sur des décisions qui engagent ensuite l’existence de chacun.

Il n’y a aucune justification « au nom du peuple » à ralentir le rythme de la transformation écologique. Au contraire, ce sont les plus démunis qui ont intérêt à ce que la transformation s’accélère, car ils subissent déjà la dégradation des écosystèmes. Mais donner un contenu à l’écologie populaire suppose de remettre la lutte contre les inégalités au centre du jeu. Or les différents projets politiques portés ces dernières années ont soit renoncé implicitement à gauche à cet objectif, soit théorisé, comme c’est le cas aujourd’hui, l’acceptabilité des inégalités.

Le projet écologique porte une promesse d’égalité et non de nouvelles inégalités justifiées au nom de la volonté de faire le bien des personnes à leur corps défendant.

Ce n’est pas le peuple qui demande à être ménagé face à l’ampleur des changements à organiser ; tous souhaitent y participer. À une condition : que le projet écologique porte une promesse d’égalité et non de nouvelles inégalités justifiées au nom de la volonté de faire le bien des personnes à leur corps défendant.  Le double langage doit cesser. Redoubler l’hypocrisie sociale par un discours paternaliste c’est trop ! L’ambition doit dépasser la « mesurette », la taxe ou l’incitation aux entreprises. Elle suppose de surmonter des résistances économiques, de changer les lois, de modifier les budgets de l’État et des collectivités locales, d’ouvrir une autre vision.

Cette aspiration à la justice est portée par une intense énergie démocratique dont témoignent les nouvelles mobilisations climatiques. L’écologie populaire a aujourd’hui un visage, ou plutôt des visages, et se dessine l’image d’une société écologique européenne et mondiale. On est loin, très loin de l’écologie à la française. Il y a eu en quelques mois les marches citoyennes organisées spontanément dont le succès a dépassé les espérances, les plus de deux millions de signataires de la pétition l’Affaire du siècle, le mouvement des coquelicots, les grèves scolaires lancées par la lycéenne suédoise Greta Thunberg.

Les enjeux écologiques touchent plus de monde, de nouvelles personnes, provoquant la mobilisation d’étudiants encore mineurs, mêlant les générations et les horizons, tous portés par l’urgence à rompre avec l’ordre des choses. Ils l’expriment avec leurs mots, la poésie, et une détermination qui mêle la colère et la joie de changer le monde. Ce sont les lycéens et les agriculteurs qui sont devenus les lanceurs d’alerte emblématiques de ces nouveaux mouvements. Personne ne l’avait imaginé mais cela semble désormais évident. Parce que les agriculteurs à la merci d’un système productif qui les ruine et les accule au suicide ne veulent plus être des invisibles, parce que les adolescents qui refusent la destruction de la beauté et de l’habitabilité du monde ne veulent plus être des silencieux.

Quelle est alors cette perspective qui associerait le peuple, la reconnaissance des droits de la nature, la justice et à la démocratie ? A coup sûr une nouvelle culture du pouvoir. Elle suppose d’abandonner l’invocation nationaliste « à la française » lorsqu’on ne sait plus quoi dire pour y substituer une vision mondiale et européenne, elle suppose  un va-et-vient entre les savoirs scientifiques et le débat démocratique, elle suppose de retourner à la géographie, à l’enracinement des territoires et des personnes. Elle suppose surtout de nouveaux représentants. Les lanceurs d’alerte sont de plus en plus nombreux dans le domaine de l’écologie. Il leur reste à conquérir les institutions. L’écologie populaire c’est aujourd’hui l’écologie de la prise des pouvoirs : en Europe, en France, dans l’entreprise, l’État, partout où se jouent les décisions qui engagent.

Cet article a été publié pour la première fois le 4 mars 2019 sur AOC.


Lucile Schmid

Femme politique, Vice-présidente de la Fabrique écologique