Politique

Le néolibéralisme ou la tyrannie du statu quo (version 2025)

Philosophe

Historiquement, le libéralisme ne s’est réalisé que comme perversion pseudolibérale, enserrant la société dans la tyrannie de grands groupes d’intérêts privés, d’un corps politique dominé par des conservateurs glissant vers le fascisme et d’une bureaucratie détruisant ses propres capacités d’expertise. Il n’aura jamais été que cela : la preuve que le marché libre n’existe que sous sa forme pervertie, contraignante et inégalitaire.

Il y a presque un demi-siècle, Milton et Rose Friedman écrivaient qu’« un nouveau gouvernement dispose de six à neuf mois pour opérer des changements majeurs. S’il ne saisit pas l’opportunité d’agir d’une manière décisive durant cette période, il n’en aura pas d’autre. Par la suite les changements se feront lentement ou pas du tout, et les contre-attaques se déploieront contre les changements initiaux »[1].

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Aux États-Unis, Trump a signé, dès son investiture, une série de décrets, mais ceux-ci se présentent directement comme une contre-attaque visant toutes les mesures vaguement progressistes de son prédécesseur. En France, on assiste plutôt à une lente dérive vers le même autoritarisme réactionnaire, malgré la succession des gouvernements.

Alors que, selon les Friedman, des réformes rapides, d’abord impopulaires, continueraient à dérouler des effets bénéfiques sur le long terme, la situation actuelle s’avère inverse : ce sont justement les effets sur le long terme de la politique néolibérale, inspirée, entre autres, de Milton Friedman, qui se sont avérés catastrophiques, et, pourtant, cette politique se durcit jusqu’à se contredire, que ce soit brutalement ou progressivement. Ce qu’il faut encore faire, toujours refaire, donc, pas pendant six mois, mais continuellement, c’est simplifier l’État, diminuer drastiquement les dépenses publiques, libérer le fonctionnement du marché et, dans le même temps, renforcer l’ordre politique et fermer les frontières.

Il semble alors légitime de se demander si la « tyrannie du statu quo » dont parlait le couple Friedman n’a pas perduré sous une forme paradoxale. Les Friedman entendaient bien par là la tyrannie d’un statu quo ante, donc d’un retour à l’état initial, que les élections suspendaient pour quelques mois. Or, aujourd’hui, les élections elles-mêmes provoquent à la fois le retour et le renforcement de la même politique, qui n’est autre qu’une tyrannie du néolibéralisme. Ce renforcement a fait l’objet d’analyses mu


[1] Milton Friedman et Rose Friedman, Tyranny of the Status Quo, Harcourt Brace Jovanovich, 1984, p. 3.

[2] Walter Lippmann, La Cité libre (1937), traduit de l’anglais par Georges Blumberg, Les Belles lettres, 2011, chapitre 7 ; Friedrich A. Hayek, La Constitution de la liberté (1960), traduit de l’anglais par Raoul Audouin et Jacques Garello, Litec, 1994, chapitre 15, § 7 ; et Milton Friedman et Rose Friedman, « Intérêts particuliers contre intérêts diffus », in La Liberté du choix, traduit de l’anglais par Guy Casaril, Belfond, 1980, p. 294 et suivantes.

[3] Le titre original de l’ouvrage de Milton Friedman et Rose Friedman La Liberté du choix, op. cit., étant Free to Choose.

[4] Milton Friedman et Rose Friedman, Tyranny of the Status Quo, op. cit., p. 42 et suivantes.

[5] Walter Lippmann, La Cité libre, op. cit., chapitres 2 et 10.

[6] Ibid., p. 262.

[7] Ibid., chapitres 3 à 5.

[8] Voir Thomas Piketty, Une brève histoire de l’égalité, Le Seuil, 2021.

[9] Walter Lippmann, La Cité libre, op. cit., p. 237.

[10] Milton Friedman et Rose Friedman, Tyranny of the Status Quo, op. cit., p. 45 et suivantes.

[11] Walter Lippmann, La Cité libre, op. cit., chapitre 15.

[12] Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, II, 3, 1762.

[13] Walter Lippmann, La Cité libre, op. cit., chapitre 6.

[14] Voir Walter Lippmann, Public Opinion (1922), Avarang Books, 2004, p. 109-110.

[15] Voir ibid., chapitres 16 et 17 ; Walter Lippmann, Le Public fantôme (1925), traduit de l’anglais par Laurence Decréau, Demopolis, 2008, chapitres 6 et 13 ; et La Cité libre, op. cit., chapitre 3.

[16] Walter Lippmann, Public Opinion, op. cit., p. 221. Voir aussi l’intégralité des chapitres 7, 13 et 14.

[17] Sur ces différents aspects, voir ibid., chapitres 25 à 27, et Walter Lippmann, La Cité libre, op. cit., chapitres 12 et 15. Voir également Friedrich A. Hayek, La Constitution de la liberté, op. cit., chapitres 11 à 13.

[18] Milton Friedman et Rose Friedman, Tyranny of the Status Quo, op. cit., p. 166.

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Jérôme Lèbre

Philosophe, directeur de programme au Collège International de Philosophie

Rayonnages

Politique Économie

Mots-clés

Néolibéralisme

Notes

[1] Milton Friedman et Rose Friedman, Tyranny of the Status Quo, Harcourt Brace Jovanovich, 1984, p. 3.

[2] Walter Lippmann, La Cité libre (1937), traduit de l’anglais par Georges Blumberg, Les Belles lettres, 2011, chapitre 7 ; Friedrich A. Hayek, La Constitution de la liberté (1960), traduit de l’anglais par Raoul Audouin et Jacques Garello, Litec, 1994, chapitre 15, § 7 ; et Milton Friedman et Rose Friedman, « Intérêts particuliers contre intérêts diffus », in La Liberté du choix, traduit de l’anglais par Guy Casaril, Belfond, 1980, p. 294 et suivantes.

[3] Le titre original de l’ouvrage de Milton Friedman et Rose Friedman La Liberté du choix, op. cit., étant Free to Choose.

[4] Milton Friedman et Rose Friedman, Tyranny of the Status Quo, op. cit., p. 42 et suivantes.

[5] Walter Lippmann, La Cité libre, op. cit., chapitres 2 et 10.

[6] Ibid., p. 262.

[7] Ibid., chapitres 3 à 5.

[8] Voir Thomas Piketty, Une brève histoire de l’égalité, Le Seuil, 2021.

[9] Walter Lippmann, La Cité libre, op. cit., p. 237.

[10] Milton Friedman et Rose Friedman, Tyranny of the Status Quo, op. cit., p. 45 et suivantes.

[11] Walter Lippmann, La Cité libre, op. cit., chapitre 15.

[12] Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, II, 3, 1762.

[13] Walter Lippmann, La Cité libre, op. cit., chapitre 6.

[14] Voir Walter Lippmann, Public Opinion (1922), Avarang Books, 2004, p. 109-110.

[15] Voir ibid., chapitres 16 et 17 ; Walter Lippmann, Le Public fantôme (1925), traduit de l’anglais par Laurence Decréau, Demopolis, 2008, chapitres 6 et 13 ; et La Cité libre, op. cit., chapitre 3.

[16] Walter Lippmann, Public Opinion, op. cit., p. 221. Voir aussi l’intégralité des chapitres 7, 13 et 14.

[17] Sur ces différents aspects, voir ibid., chapitres 25 à 27, et Walter Lippmann, La Cité libre, op. cit., chapitres 12 et 15. Voir également Friedrich A. Hayek, La Constitution de la liberté, op. cit., chapitres 11 à 13.

[18] Milton Friedman et Rose Friedman, Tyranny of the Status Quo, op. cit., p. 166.

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