Chère Despentes
Chère Despentes,
Je vous écris[1] parce que, depuis que j’ai lu Cher connard, je ne suis pas tranquille. J’ai attendu que ça décante (ça : ma lecture, le tourbillon médiatique autour du livre et les discussions nombreuses qu’il a déclenchées, qui en disent l’importance et me font soupçonner qu’il doit être plus lourd que mille DSK empilés, le poids de toutes les attentes que vous devez sentir et qui ne peuvent être qu’un peu déçues). Mais ça ne passe pas. Alors, je vous écris même si je ne suis pas tranquille non plus de le faire, vu que j’ai bien en tête ce que vous dites à la fin du roman à travers le personnage de Zoé Katana : que les coups qui font le plus mal quand on est féministe, ce sont ceux qui viennent de celles en qui on espérait voir des sœurs, des alliées. Pas qu’ils soient plus violents, mais ils viennent frapper une zone où la chair est restée tendre parce qu’on a refusé de croire que là aussi, la cuirasse était de mise. J’ai bien senti de quoi vous parliez, on l’a toutes plus ou moins vécu cette situation et ce n’est pas marrant.

Mais si je ne veux pas vous faire ce coup-là, ce n’est pas fondamentalement pour cette raison. Après tout, il y a des désaccords internes qu’il faut pouvoir nommer entre nous sans s’esclavagiser à la crainte de la récupération que les réactionnaires pourraient en faire. Sentons-nous libres au moins, puisqu’ils récupèrent toujours tout et n’importe quoi, n’importe comment ! Non, la raison, c’est que le roman m’a fait éprouver des émotions contradictoires que j’ai du mal à intégrer dans une lecture unifiée et que je n’arrive pas à trancher si son succès me réjouit ou m’inquiète.
Et s’il me semble important d’essayer d’expliquer pourquoi, c’est qu’on a beaucoup dit qu’il s’agirait du grand roman post #MeToo qu’on attendait et que sa force tiendrait à la façon dont il mêle dénonciation des connards et empathie pour toutes les parties, permettant ainsi la réconciliation dont nous aurions tous et toutes besoin. Je parta