Poésie

Comment c’est la fin

Écrivaine

« Combien de temps dure la fin ? » Dans le sillage de Ce qui est nommé reste en vie (2020), où s’imbriquaient les bribes de voix de personnes atteintes de tumeur au cerveau, ainsi que celles de leurs proches, Claire Fercak donne à entendre la fin de vie, la fin d’une vie. Ce monologue poétique, fait pour être lu à voix haute, le sera d’ailleurs le 12 décembre (festival Bruits Blancs) par l’auteure, en duo avec le musicien ErikM. Un texte inédit.

un matin, je me suis réveillée
j’avais marché toute la nuit en forêt
il n’y avait pas d’ombre
c’était un long voyage
c’était l’été

tu as rêvé peut-être

j’ai marché longtemps
je n’ai pas eu froid
j’ai couru
des ronces ont blessé mes mollets
plus j’avançais, plus les broussailles poussaient
m’encerclaient
m’empêchaient d’avancer

c’était un long voyage
c’était l’été
la nuit
dans la forêt
il faisait jour
il y avait des hommes
dans la maison au bout du bois
je portais une belle robe
en tulle pourpre
les ronciers me protégeaient
m’enveloppaient

tu as rêvé
tu crois ?
oui

peux-tu vérifier mes chaussures ?
oui
et ?
pas de terre sèche ni de poussière
pas d’éclaboussures ?
non plus
de fines bulles de la rosée du matin ?
non, rien

cotonneuse et troublée
je me suis réveillée
perdue au milieu des arbres

une région plus boisée
buis et oxalis
mélèzes et bouleaux
pins, plantes herbacées
massifs de fleur violette

des sculptures
blocs de pierre informes
obstruent le sentier

les arbustes épineux poussent dans ma tête
le sentier, labyrinthique
les allées saint-simon, mazarin,
les lieux désertiques
laveran, babinski, bottard

les ronces maintiennent les statues
entravent leurs mouvements
imposantes figurines en pierre
l’une d’elles est plus boursouflée que les autres
debout, un bras en l’air
sa main est tendue vers le ciel

l’autre est allongée sur le dos
recouverte de branchages
au bord d’un ruisseau
engloutie par la végétation
on la voit à peine
si on la regarde de près
on devine son sourire
un sourire flasque
comme une grimace de douleur

je suis comme une statue
corps
espace-prison
dont l’état ne cesse d’empirer

une façon de vivre
qui ne guérit de rien
mais qui est possible
quand aucune autre ne l’est

quelle est la différence entre la sculpture et moi ?
je suis immobile
comme le marbre
la pierre
mes os

et si tu essayais de serrer les poings ?
comme cette statue ?
oui
je les serre tout le temps
et là
c’est douloureux
et là ?
aussi
et si j’allonge ton bras ?
idem

mes membres sont lourds
a


Claire Fercak

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