La faute
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Et les autres ? Oh, les autres étaient là pour le décor, comme les cactus dans les westerns.
Quant à moi, en brave petit animal incapable de concevoir d’autres mondes que la cage dans laquelle il vit reclus depuis toujours, je n’avais pas de raison de douter que l’univers se réduisait à ça : moi, lui, elle et les chers vieux barreaux qui rendaient la détention inexorable et les paysages aussi bouleversants.
L’école s’est chargée de miner l’intégrité de cette autarcie originelle : aussi étrange que cela paraisse, les vies de mes camarades, même les plus fades, grouillaient de grands-parents, de frères et de jeunes cousines romantiques.
C’est ainsi que j’ai commencé à me méfier des avantages de l’autosuffisance et à me poser beaucoup de questions du genre : qu’étaient-ils tous devenus ? Comment diable avaient-ils fini ?
À la manière dont mes parents en parlaient – ou plutôt évitaient le plus souvent d’en parler – notre lignée pouvait s’être éteinte depuis des millions d’années. Ce qui expliquait au moins pourquoi mon père maniait ses souvenirs d’enfance avec la circonspection que les paléontologues réservent aux fossiles ressurgis d’un passé préhistorique ; et pourquoi ma mère agissait comme si elle n’avait même pas d’enfance, de passé, d’histoire.
L’homme est un animal social. C’est Aristote qui le dit. Ipse dixit. Je veux bien, mais s’il avait eu des parents comme les miens, jamais il ne l’aurait dit. En revanche, rigide et pédant comme il l’était, il se serait méfié de la notion de « cocon familial », tellement inadaptée dans sa mièvrerie à décrire la tanière dans laquelle j’ai grandi : en ce qui me concerne, je ne me souviens pas de paille sur laquelle faire un somme ni de hamacs d’où profiter du coucher du soleil, mais seulement de lits défaits, d’obscures cavités prêtes à vous phagocyter. N’est-ce pas là, entre draps emmêlés et noir d’encre, que commencent les histoires ? Eh bien, je ne permettrai pas à celle-ci de faire exception, bien qu’elle me concerne s