Société

Le « refus du travail » : une idée reçue qui fait diversion

Sociologue

Dans ses vœux télévisés aux français, le président de la République a célébré le travail, laissant implicitement entendre qu’il y avait pénurie de main d’œuvre ou que nous ferions face à une « grande démission ». Il s’agit pourtant de mythes qui donnent à voir l’idéologie dominante associant « valeur travail », mérite et responsabilité individuelle. Car, de façon structurelle, ce qui conduit massivement au chômage, et de façon répétée ou prolongée, c’est le « précariat ».

Le travail, au sens d’emploi salarié, a une place centrale dans les sociétés post-industrielles comme la France. Il est ainsi au cœur de l’action publique et des discours politico-médiatiques. À ce titre, différentes « notions » se sont succédées dans l’actualité récente du travail, suscitant de vifs débats. Au moins trois méritent attention, en ce qu’elles marquent une certaine convergence idéologique.

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D’abord, en début d’année 2022, ce fut la « grande démission ». Venue des États-Unis, cette expression traduit les démissions en masse de la part des salarié.es post Covid-19. Ce phénomène menacerait de se produire en France et nécessiterait de redonner du « sens au travail », qui serait en perdition. À l’approche de l’été, c’était ensuite au tour de la « pénurie de main d’œuvre » de faire l’actualité, continuant à alimenter les discours sur les emplois « vacants » ou « non pourvus ». Depuis la rentrée, c’est enfin le « quiet quitting » (« démission silencieuse »), désignant des « mercenaires » ou « désengagé[e]s » au travail (plus exactement ne souhaitant pas travailler au-delà de ce qui est inscrit dans leur fiche de poste).

Faire du bruit à partir de (presque) rien

Il est remarquable que ces trois notions ne soient pas objectivées scientifiquement. D’une part, la « grande démission » n’a pas eu lieu en France. Et la hausse relative des démissions observées est un phénomène classique, car cyclique sur le marché de l’emploi, observable à l’occasion des reprises économiques. D’autre part, la « démission silencieuse » n’a rien de nouveau – pensons aux « freinages » dans l’industrie du XIXème siècle. Elle est également très difficilement quantifiable, si tant est qu’elle puisse l’être. Et pour cause : elle recouvre une diversité de pratiques et d’interprétations qui ne renvoient pas forcément à des personnes en désamour avec le travail. Par exemple, elles peuvent être très investies mais vouloir récupérer leur enfant à 18h et faire leur part de travail domest


[1] Clouet H., Emplois non pourvus. Une offensive contre le salariat, Paris, Broché, 2022.

[2] Voir par exemple les travaux de l’Observatoire du non-recours au droit (Odenore).

[3] Marc C., « Insertion professionnelle et sociale : des spécificités transversales aux différents types de minimas sociaux », Recherches et Prévisions, n°91, 2008.

[4] Bouchoux J., Houzel Y., Outin J.-L., « Situations professionnelles, transitions et trajectoires des allocataires du RMI. Quels enseignements pour le RSA ? », Les travaux de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, 2007-2008, La Documentation française, Paris, 2008.

[5] Vives C. et Grégoire M., « Les salariés en contrats courts : chômeurs optimisateurs ou travailleurs avant tout ? », Connaissance de l’emploi, n°168, 2021.

[6] Alain Cottereau, « Les jeunes contre le boulot, une histoire vieille comme le capitalisme industriel », Autrement, n°21, 1979.

[7] Marie Pezé, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, Paris, Flammarion, 2010 ; Éric Beynel (dir.), La Raison des plus forts. Chronique du procès France Telecom, Ivry-sur-Seine, L’Atelier, 2020.

[8] Couronné J. et Roux N., « Trouver un emploi, le garder et gagner sa vie : les attentes des jeunes des classes populaires », The Conversation, 11 décembre 2020.

[9] Roux N., La précarité durable. Vivre en emploi discontinu, Presses universitaires de France, 2022.

[10] Jan A., « Livrer à vélo… en attendant mieux », la Nouvelle Revue du Travail, n°13, 2018.

[11] Duvoux N. et Papuchon A., « Qui se sent pauvre en France ? Pauvreté subjective et insécurité sociale », Revue française de sociologie, 4, 2018, p. 607-647.

[12] Bernard S., Le nouvel esprit du salariat. Rémunérations, autonomie, inégalités, PUF, 2020.

[13] Guyonvarch M., Performants… et licenciés. Enquête sur la banalisation des licenciements, Presses universitaires de Rennes, 2017.

[14] Roux N., « L’insoutenabilité du travail. Le cas d’un groupement d’employeurs agricole », Connaissance de

Nicolas Roux

Sociologue, Maître de conférences en sociologie à l'Université de Reims Champagne-Ardenne Chercheur au CEREP

Notes

[1] Clouet H., Emplois non pourvus. Une offensive contre le salariat, Paris, Broché, 2022.

[2] Voir par exemple les travaux de l’Observatoire du non-recours au droit (Odenore).

[3] Marc C., « Insertion professionnelle et sociale : des spécificités transversales aux différents types de minimas sociaux », Recherches et Prévisions, n°91, 2008.

[4] Bouchoux J., Houzel Y., Outin J.-L., « Situations professionnelles, transitions et trajectoires des allocataires du RMI. Quels enseignements pour le RSA ? », Les travaux de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, 2007-2008, La Documentation française, Paris, 2008.

[5] Vives C. et Grégoire M., « Les salariés en contrats courts : chômeurs optimisateurs ou travailleurs avant tout ? », Connaissance de l’emploi, n°168, 2021.

[6] Alain Cottereau, « Les jeunes contre le boulot, une histoire vieille comme le capitalisme industriel », Autrement, n°21, 1979.

[7] Marie Pezé, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, Paris, Flammarion, 2010 ; Éric Beynel (dir.), La Raison des plus forts. Chronique du procès France Telecom, Ivry-sur-Seine, L’Atelier, 2020.

[8] Couronné J. et Roux N., « Trouver un emploi, le garder et gagner sa vie : les attentes des jeunes des classes populaires », The Conversation, 11 décembre 2020.

[9] Roux N., La précarité durable. Vivre en emploi discontinu, Presses universitaires de France, 2022.

[10] Jan A., « Livrer à vélo… en attendant mieux », la Nouvelle Revue du Travail, n°13, 2018.

[11] Duvoux N. et Papuchon A., « Qui se sent pauvre en France ? Pauvreté subjective et insécurité sociale », Revue française de sociologie, 4, 2018, p. 607-647.

[12] Bernard S., Le nouvel esprit du salariat. Rémunérations, autonomie, inégalités, PUF, 2020.

[13] Guyonvarch M., Performants… et licenciés. Enquête sur la banalisation des licenciements, Presses universitaires de Rennes, 2017.

[14] Roux N., « L’insoutenabilité du travail. Le cas d’un groupement d’employeurs agricole », Connaissance de