Viande
So some of him lived but the most of him died.
Rudyard Kipling
Toutes les émissions, tous les journaux, les magazines et les radios voulaient parler avec elles. Les envoyés spéciaux de la télévision campèrent devant la clinique psychiatrique où elles furent internées pendant plus d’une semaine, en vain. Lorsqu’elles furent autorisées à sortir, les caméramans leur coururent après, certains se prirent les pieds dans les câbles et beaucoup tombèrent par terre ; mais elles ne cherchèrent pas à leur échapper. Elles se contentèrent de les regarder avec un sourire qui, par la suite, fut décrit comme « effrayant » et « mystique », et partirent dans la voiture conduite par le père de Mariela, l’aînée. Les parents ne disaient rien non plus : les caméras avaient juste réussi à filmer leurs pas nerveux dans les couloirs de l’établissement, leurs regards craintifs, et les pleurs de la mère de Julieta, la cadette, sortant de chez elle avec un sac plein de vêtements.
Ce silence déclencha la plus grande hystérie collective jamais vue. Les unes des journaux évoquaient le cas de fanatisme adolescent le plus choquant, non seulement d’Argentine, mais du monde entier. L’affaire fut relayée par les chaînes d’informations internationales. On fit appel à des experts psychiatres et psychologues, le sujet monopolisa les journaux télévisés, les potins télé, les émissions et les talkshows de l’après-midi ; à la radio, il n’était question que de cela. Julieta et Mariela, seize et dix-sept ans, deux filles de Mataderos fans de Santiago Espina, la rock star issue de la banlieue qui, en moins d’un an, avait rempli les théâtres et les stades du centre de Buenos Aires. Santiago, que la presse spécialisée aimait et détestait tout autant : génie, prétentieux, artiste inclassable, produit commercial conçu pour hypnotiser les adolescentes aliénées, avenir de la musique argentine, imbécile capricieux. Espina – ainsi que l’appelaient idolâtres et détracteurs – avait stupéfait la critique avec son deuxiè