Littérature

Briser le silence du goulag – sur Voyage au pays des
Ze-Ka
de Julius Margolin

Historienne

La liquidation de l’ONG russe Memorial fin 2021 a marqué la fin d’une période d’ouverture de la mémoire du Goulag en Russie. Une mémoire que Julius Margolin transmettait dès 1949 à une opinion publique incrédule dans son Voyage au pays des Ze-Ka. Les éditions Le Bruit du temps offrent une nouvelle édition de cette « œuvre-témoignage » de premier ordre, celle d’un témoin ayant survécu, entre 1939 et 1945, à l’enfer du Goulag.

Quand Calmann-Lévy, où travaille Manès Sperber, qui a édité le Zéro et l’infini d’Arthur Koestler, publie en 1949 La Condition inhumaine. Cinq ans dans les camps de concentration soviétiques, sous le nom de Jules Margoline, l’existence de ce que l’on n’appelle pas encore le Goulag peine à advenir à la conscience. Pour tous, dans cette ombre portée de la Seconde Guerre mondiale, les camps de concentration sont nazis, et la presse a largement couvert leur ouverture par les Alliés au printemps 1945 et le retour des déportés de France. De nombreux livres de témoignage sont alors publiés, sinon largement lus.

publicité

En 2022, alors que les ouvrages de Julius Margolin, Voyage au pays des Ze-Ka suivi de Le Chemin vers l’Occident, sont republiés, pour la première fois réunis, nous avons désormais lu Chalamov, Soljenitsyne, Grossman et d’autres. L’ouverture des archives a permis le travail des historiens comme Nicolas Werth, et les recherches de l’ONG Memorial. Nous disposons d’un terme pour nommer les camps concentrationnaires soviétiques, celui de Goulag. L’objectif principal de Margolin – faire la lumière sur les camps – a été atteint.

Le 24 février 2022, la Russie a agressé l’Ukraine après avoir frappé d’interdit Memorial. Notre regard sur les écrits de Margolin ne peut être celui du lecteur de 1949 ou même de 2012. Si nous sommes saisis du même éblouissement à la lecture de ce livre captivant, bouleversant par son écriture et par tant d’intelligence humaine et politique, le contexte nous rend davantage sensible au côté politique de l’ouvrage. Certes, il est une de ces « œuvres-témoignages » selon l’expression forgée par Claude Mouchard, et nous pouvons réfléchir à ce que l’homme fait à l’homme et aux façons d’écrire les camps. Mais c’est aussi un formidable document sur l’URSS, sur sa guerre qui fait écho, 80 ans après, à la guerre que nous vivons. Ce qui rend l’ouvrage actuel et passionnant.

« Résumons les faits », écrit Julius Margolin à la page 623 de son ouvrage,


Annette Wieviorka

Historienne, Directrice de recherche honoraire au CNRS

Rayonnages

Livres

Mots-clés

Mémoire