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Quand la société chinoise conteste

Sociologue

En novembre, plusieurs dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés dans une dizaine de villes chinoises pour s’opposer à la politique du zéro-Covid. Au plus grand étonnement des observateurs, cette « révolte » n’a pas fondamentalement remis en cause le régime. En réalité, depuis les années 1990, la nouvelle société chinoise n’hésite pas à protester, en particulier contre tout ce qui pourrait fragiliser les acquis de la classe moyenne. Le Parti communiste chinois a laissé se construire un espace légitime de contestation, à condition qu’elle ne franchisse pas la ligne rouge de la dissidence.

Depuis le début des grandes réformes des années 1990, la société chinoise conteste. Des ouvriers d’État licenciés pour cause de rentabilité aux paysans expropriés de leurs terres pour laisser place à des projets de « développement », en passant par le nouveau prolétariat des campagnes, les propriétaires d’appartement floués par les compagnies immobilières ou les riverains d’usines polluantes, les Chinois du « miracle » économique défendent pied à pied leurs intérêts et leur imaginaire.

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Avant la pandémie, il n’était pas rare de voir des citoyens, pourtant attachés à l’ordre et à la discipline, critiquer l’État – la plupart du temps les autorités locales – jugé incapable d’appliquer la loi. Ou même le Parti Communiste, sommé de défendre les intérêts du peuple. Pourtant, aucun de ces conflits sociaux n’a débouché sur le début du commencement d’une remise en cause du régime. Bien au contraire, le régime a joui, au moins jusqu’à la pandémie, d’un large soutien de la population, qui reposait non seulement sur la prospérité économique mais aussi sur le sentiment que le Parti était, malgré tout, le meilleur garant du prestige de la nation et de la stabilité du pays.

De la même façon, pendant les manifestations de novembre contre la politique du zéro-Covid, seules quelques voix se sont élevées pour s’en prendre au Parti et parfois à Xi Jinping. Et si la plupart des Chinois ont fini par être excédés par les conséquences de la politique du zéro-Covid, son abandon fin décembre a créé un sentiment d’angoisse voire de panique parmi la population. Ces manifestations ont, en fait, accéléré le processus d’assouplissement déjà engagé du triptyque « tester, tracer, isoler » et donc débouché sur une vague sans précédent de contamination. Les Chinois restent cloitrés chez eux, stockent les médicaments contenant du Paracetamol, craignent de devoir aller dans des hôpitaux déjà surchargés. On veut être protégé, et l’on en vient à regretter le temps où chacun était testé et où l’É


[1] Sur la classe moyenne chinoise voir Jean-Louis Rocca, The Making of the Chinese Middle Class. Small Comfort and Great Expectations, Palgrave MacMillan, 2017.

[2] Deux références pour la France : Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Les Editions de Minuit, 1979 et Luc Boltanski, Les cadres. La formation d’un groupe social, Les Editions de minuit, 1982.

[3] Lynn Lee et James Leong, Wukan : The Flame of Democracy, Singapour, 2013.

[4] Sun, Liping. Tangping juefei jijin fashengzai diceng [Rester couché n’arrive jamais à ceux qui sont au bas de la société],2021 年 6 月 13 日。

Jean-Louis Rocca

Sociologue, Professeur à Sciences Po et chercheur au CERI

Rayonnages

AsieChine

Notes

[1] Sur la classe moyenne chinoise voir Jean-Louis Rocca, The Making of the Chinese Middle Class. Small Comfort and Great Expectations, Palgrave MacMillan, 2017.

[2] Deux références pour la France : Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Les Editions de Minuit, 1979 et Luc Boltanski, Les cadres. La formation d’un groupe social, Les Editions de minuit, 1982.

[3] Lynn Lee et James Leong, Wukan : The Flame of Democracy, Singapour, 2013.

[4] Sun, Liping. Tangping juefei jijin fashengzai diceng [Rester couché n’arrive jamais à ceux qui sont au bas de la société],2021 年 6 月 13 日。