Politique

L’Hétérocamérisme : une refondation du parlementarisme

Économiste

La démocratie représentative traverse une grave crise de légitimité, dont la résolution ne pourra se satisfaire d’un retour à un régime parlementaire classique, à un scrutin proportionnel, ni à l’instauraton du monocamérisme ou du tirage au sort. Pour refonder le parlementarisme sur une base véritablement nouvelle, nous proposons une solution originale : l’hétérocamérisme, soit un Parlement composé de six chambres spécialisées, élues à la proportionnelle à tour de rôle pour six ans, permettant au citoyen de voter chaque année sur un enjeu précis.

Où réside la légitimité démocratique, quand un gouvernement fait adopter en toute légalité, mais par des dispositifs décriés, une réforme rejetée par la grande majorité de la population et des corps intermédiaires, qui s’y opposent par tous les moyens de la lutte sociale ? À l’évidence, une conception purement formelle de la démocratie peine à convaincre : les procédures, mêmes légales et constitutionnelles, ne sont en principe que des moyens d’expression de la volonté majoritaire des citoyens… ce qu’elles ne sont à l’évidence plus, notamment du fait de la confusion des motifs de vote qui caractérise selon nous le régime actuel. Vote-t-on au second tour de la présidentielle pour un programme incluant une réforme des retraites, ou pour faire barrage à une autre candidature ? Vote-t-on à l’Assemblée pour adopter cette réforme ou pour maintenir en place un gouvernement et éviter ainsi la dissolution ? Au fond, que veut-on quand on vote, et comment nos institutions traduisent-elles cette volonté ?

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Le diagnostic de la crise de la démocratie est aujourd’hui largement partagé[1], sur fond de montée de l’abstention, d’indices de confiance catastrophiquement et durablement bas dans les institutions comme l’Assemblée nationale[2], de radicalisation des mouvements sociaux et de leur répression policière, de marginalisation des partis politiques traditionnels au profit de mouvements populistes de droite, de gauche et du centre formés autour d’une personnalité charismatique, etc. Longtemps considérée comme un débat clos, la démocratie se révèle être un chantier à rouvrir de fond en comble, car elle souffre selon Pierre-Henri Tavoillot à la fois « d’une terrible crise de la représentation, d’une grave impuissance publique et d’un profond déficit de sens »[3].

C’est au premier de ces problèmes que nous voulons ici nous attaquer, car les carences de la démocratie représentative nous semblent ne pouvoir être palliées par aucune forme de démocratie participative[4] (même si


[1] Le thème n’étant pas nouveau – voir par exemple Marie-Anne Cohendet, « Une crise de la représentation politique ? », Cités, 2004, vol. 2, n° 18, p. 41 à 61, selon qui « derrière ces problèmes traduisant un désenchantement douloureux, on perçoit clairement une crise d’identité, une prise de conscience et une révolte face à la complexité et aux limites de la démocratie représentative. Or ces phénomènes reflètent essentiellement une plus grande maturité des citoyens qui, pour la plupart, souhaiteraient non pas une remise en cause de la démocratie, mais une démocratie plus réelle ». Voir aussi Marcel Gauchet, La Démocratie d’une crise à l’autre, Nantes, éd. Cécile Defaut, 2007, ou « Crise dans la démocratie », La revue lacanienne, vol. 2, n° 2, 2008, p. 59 à 72 ; Luc Rouban, La démocratie représentative est-elle en crise ?,  La Documentation française, n° 60, 2018.

[2] En janvier 2022 comme depuis au moins 2009, seule une minorité de Français (38 %) ont confiance dans l’Assemblée nationale selon OpinionWay, 36 % des sondés déclarant n’avoir plutôt pas confiance et 23 % pas confiance du tout (Baromètre de la confiance politique / vague 13 Janvier 2022, p. 21-22, enquête menée pour Science Po – CEVIPOF auprès de 10 566 personnes inscrites sur les listes électorales).

[3] Pierre-Henri Tavoillot, Comment gouverner un peuple-roi ? Traité nouveau d’art politique, Paris, Odile Jacob, 2019.

[4] Pierre-Henri Tavoillot, « Contre la démocratie participative », Pouvoirs, vol. 175, n° 4, 2020, p. 43 à 55.

[5] Le Référendum d’Initiative Citoyenne, revendication centrale du mouvement des Gilets Jaunes reprise sous une forme ou sous une autre par neuf des douze candidats à l’élection présidentielle de 2022, mérite d’être considéré, ne serait-ce que parce qu’il est, avec le tirage au sort, la seule proposition d’ampleur formulée depuis des décennies pour renouveler la République en contournant l’irréductible dimension aristocratique de l’élection, bien montrée par Bernard Manin, Pri

Augustin Sersiron

Économiste, ATER à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Notes

[1] Le thème n’étant pas nouveau – voir par exemple Marie-Anne Cohendet, « Une crise de la représentation politique ? », Cités, 2004, vol. 2, n° 18, p. 41 à 61, selon qui « derrière ces problèmes traduisant un désenchantement douloureux, on perçoit clairement une crise d’identité, une prise de conscience et une révolte face à la complexité et aux limites de la démocratie représentative. Or ces phénomènes reflètent essentiellement une plus grande maturité des citoyens qui, pour la plupart, souhaiteraient non pas une remise en cause de la démocratie, mais une démocratie plus réelle ». Voir aussi Marcel Gauchet, La Démocratie d’une crise à l’autre, Nantes, éd. Cécile Defaut, 2007, ou « Crise dans la démocratie », La revue lacanienne, vol. 2, n° 2, 2008, p. 59 à 72 ; Luc Rouban, La démocratie représentative est-elle en crise ?,  La Documentation française, n° 60, 2018.

[2] En janvier 2022 comme depuis au moins 2009, seule une minorité de Français (38 %) ont confiance dans l’Assemblée nationale selon OpinionWay, 36 % des sondés déclarant n’avoir plutôt pas confiance et 23 % pas confiance du tout (Baromètre de la confiance politique / vague 13 Janvier 2022, p. 21-22, enquête menée pour Science Po – CEVIPOF auprès de 10 566 personnes inscrites sur les listes électorales).

[3] Pierre-Henri Tavoillot, Comment gouverner un peuple-roi ? Traité nouveau d’art politique, Paris, Odile Jacob, 2019.

[4] Pierre-Henri Tavoillot, « Contre la démocratie participative », Pouvoirs, vol. 175, n° 4, 2020, p. 43 à 55.

[5] Le Référendum d’Initiative Citoyenne, revendication centrale du mouvement des Gilets Jaunes reprise sous une forme ou sous une autre par neuf des douze candidats à l’élection présidentielle de 2022, mérite d’être considéré, ne serait-ce que parce qu’il est, avec le tirage au sort, la seule proposition d’ampleur formulée depuis des décennies pour renouveler la République en contournant l’irréductible dimension aristocratique de l’élection, bien montrée par Bernard Manin, Pri