Art contemporain

Les spectres sous pigments de Miriam Cahn

Critique

Depuis le Palais de Tokyo, Miriam Cahn, répondant avec hargne au conflit en Ukraine, met sur pause le flux des images éphémères d’une actualité politique sulfureuse et s’en saisit pour témoigner, résister, incarner. L’un des piliers de la scène picturale contemporaine nous offre, par ses formes spectrales lumineuses et son sens flou du détail, un récit cyclique infini à l’orée de l’art et de la guerre.

Elles sont spectrales et flamboyantes, tels des fantômes incandescents. Les présences de Miriam Cahn, couleurs vibrantes, éclat d’incendie, imprègnent la rétine à mesure qu’elles se diluent, au bord de la disparition ; dans un battement où ce qui s’évanouit, aussi, persévère. Visages évanescents et violemment présents, silhouettes qui s’affirment en même temps qu’elles s’effacent, et rappellent les vers d’Ingeborg Bachmann : « le voyage est fini, pourtant je n’en ai fini de rien, chaque lieu m’a pris un fragment de mon amour, chaque lumière m’a consumé un œil, à chaque ombre se sont déchirés mes atours[1]. »

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Dans les vers de la poète autrichienne, dans les figures de la peintre suisse-allemande, s’exhibe le même mystère, celui des présences défaites quoique persistantes, des fragments de soi disparus, des êtres et des lieux à l’extinction impossible, des voyages qui continuent hors de soi. Les personnages de Miriam Cahn sont rendus au dépouillement le plus absolu. Il ne s’en dégage pas une fragilité excessive, plutôt la puissance de ce qui résiste, ayant trouvé dans la chatoyante couleur, un abri avant dissolution.

Il y a du fauve chez Miriam Cahn, invitée du Palais de Tokyo par les commissaires Marta Dziewanska et Emma Lavigne. Dans sa manière pure et vive d’utiliser la couleur, telles des stridences chromatiques, conjuguées à des formes simplifiées. Mais c’est un fauve qui tremble : sa peinture aqueuse fait courir aux formes le risque du liquide – de la liquéfaction ; les aquarelles gorgées d’eaux engendrent des contours flous, les dessins charbonneux confèrent aux présence un aspect incertain, presque en fuite. Pourtant, ses silhouettes nous regardent. L’artiste, qui a conçu l’accrochage, les voulait à hauteur d’homme, que celles-ci nous fassent l’effet d’un « hauts les mains ». Il en résulte l’impression troublante d’être l’otage de spectres, dévisagés par des yeux qu’on ne voit pas.

Marta Dziewanska, curatrice et fidèle de Miriam Cahn, décrit cette se


[1] Ingeborg Bachmann, Toute personne qui tombe a des ailes, Poèmes, 1942-1967.

[2] Marta Dziewanska, Miriam Cahn : ça nous regarde, Catalogue de l’exposition « Ma pensée sérielle », Palais de Tokyo, 2023.

[3] Dans mon travail, chaque jour est important. Miriam Cahn en conversation avec Patricia Falguières, Elisabeth Lebovici, Natasa Petresin-Bachelez, Catalogue de l’exposition « Ma pensée sérielle », Palais de Tokyo, 2023.

[4] Ingeborg Bachmann, Toute personne qui tombe a des ailes, Poèmes 1942-1967.

[5] Dans mon travail, chaque jour est important. Catalogue de l’exposition « Ma pensée sérielle » Palais de Tokyo, 2023.

[6] Ibid.

[7] Miriam Cahn, « Uberdachte flucht-wege » Das Zornige Schreiben, dans le Catalogue de l’exposition, « Ma pensée sérielle », Palais de Tokyo, 2023.

[8] Roxana Azimi, « À Zurich, une peintre en résistance contre le plus grand musée de la ville », LeMonde, [en ligne] le 10 janvier 2022. https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/01/10/a-zurich-une-peintre-en-resistance-contre-le-plus-grand-musee-de-la-ville_6108819_4500055.html

 

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Arts visuels Culture

Notes

[1] Ingeborg Bachmann, Toute personne qui tombe a des ailes, Poèmes, 1942-1967.

[2] Marta Dziewanska, Miriam Cahn : ça nous regarde, Catalogue de l’exposition « Ma pensée sérielle », Palais de Tokyo, 2023.

[3] Dans mon travail, chaque jour est important. Miriam Cahn en conversation avec Patricia Falguières, Elisabeth Lebovici, Natasa Petresin-Bachelez, Catalogue de l’exposition « Ma pensée sérielle », Palais de Tokyo, 2023.

[4] Ingeborg Bachmann, Toute personne qui tombe a des ailes, Poèmes 1942-1967.

[5] Dans mon travail, chaque jour est important. Catalogue de l’exposition « Ma pensée sérielle » Palais de Tokyo, 2023.

[6] Ibid.

[7] Miriam Cahn, « Uberdachte flucht-wege » Das Zornige Schreiben, dans le Catalogue de l’exposition, « Ma pensée sérielle », Palais de Tokyo, 2023.

[8] Roxana Azimi, « À Zurich, une peintre en résistance contre le plus grand musée de la ville », LeMonde, [en ligne] le 10 janvier 2022. https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/01/10/a-zurich-une-peintre-en-resistance-contre-le-plus-grand-musee-de-la-ville_6108819_4500055.html