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Afrique et restitutions : l’heure d’une justice ventriloque a-t-elle sonnée ?

Économiste

Moins de deux ans après le sommet Afrique-France organisé par Emmanuel Macron, revenir sur l’histoire du « marché de dupe » colonial et néocolonial paraît essentiel pour mieux saisir les rapports inégalitaires qui subsistent entre postcolonies et postmétropoles. S’agissant de la restitution des œuvres d’art, les exemples idéaux-typiques de la France et du Cameroun, et de la Belgique et du Congo permettent de reconsidérer les discours institutionnels prônant l’égalité entre ancien dominant et ancien dominé.

Désormais un classique dans l’analyse de l’Afrique contemporaine, De la Postcolonie[1], ouvrage publié en l’an 2000 par l’historien camerounais Achille Mbembe, peut faire l’objet de plusieurs lectures. L’une d’elle fait de la postcocolonie une nouvelle forme de société africaine caractérisée par un cosmopolitisme tant culturel que pratique et comportemental dans tous les domaines après le moment colonial. C’est un ouvrage qui, si nous reprenons les mots propres de son auteur, est « une interrogation existentielle et historique sur ce que nous faisons de nous-mêmes une fois que le colon est parti[2]. »

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Cependant, s’agissant de la colonisation, Frederick Cooper et Ann Laura Stoler mettent en avant une coproduction des colonies assurée à la fois par le colonisateur et le colonisé. D’après eux, « plutôt que de raconter les colonisations d’un seul point de vue, celui de la métropole ou celui de la colonie devenue indépendante », il faut « les englober dans une histoire des empires qui permet d’étudier ensemble, dans leurs interactions réciproques, les dominants et les dominés. Les colonies n’étaient pas des espaces vierges qu’il suffisait de modeler à l’image de l’Europe […] L’empire n’a jamais été omniprésent ou monolithique. Les frontières entre blancs et colonisés sont perméables et changeantes. Parfois les colonisés sont classés dans des catégories où certains comportements les feront accuser de viol. Parfois l’empire ouvre la possibilité aux mariages entre colons et colonisés[3]. »

Il en découle, d’une part, que l’éthos précolonial africain, malgré la répression, s’est retrouvé actif au sein de l’État-colonial et, d’autre part, que les rapports de nature coloniale se rencontrent encore dans plusieurs postcolonies comme par exemple le rôle toujours prégnant des anciennes puissances coloniales dans les politiques internes de leurs anciennes colonies. Les postcolonies ne sont donc pas les seules nouvelles formes de sociétés apparues chez les dominés du monde


[1] Achille Mbembe, 2000, De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Karthala, 334 pages.

[2] Laurent Correau, 2022, « Achille Mbembe, comprendre le devenir nègre du monde », émission audio Philosophes d’Afrique, penseurs du Monde, RFI.

[3]Ann Laura Stoler et Frederick Cooper, 2020, Repenser le colonialisme, Petite bibliothèque Payot, 176 pages.

[4] Fernand Braudel, 1986, Une leçon d’histoire, Arthaud-Flammarion, 256 pages.

[5] Christelle Taraud, 2008, La colonisation, Le Cavalier Bleu, 128 pages.

[6] Catherine Coquery-Vidrovictch, 2010, Petite histoire de l’Afrique, Payot, 224 pages.

[7] Thomas Borrel, Amzat Boukari Yabara, Benoit Collombat et Thomas Deltombe, 2021, L’empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique, Seuil, 992 pages.

[8] Frederick Cooper, 2022, L’Afrique dans le monde. Capitalisme, Empire, État-Nation, petite bibliothèque Payot, 250 pages.

[9] Ces noms sont ceux de Congolais qui marquèrent leur indocilité à l’État-colonial belge en devenant porteurs, inspirateurs et maîtres d’une spiritualité de libération de leur pays de la domination belge à différentes périodes de l’histoire de ce pays depuis le XVIIe siècle à la période de l’indépendance.

[10] Abako = Association des Bakongo, Conakat = Confédération des Associations katangaises, MNC = Mouvement National Congolais, PSA = Parti de la Solidarité Africaine.

[11] Bourges (H.), Wauthier (C.), 1971, « ZAÏRE », Les 50 Afriques. Afrique centrale, Afrique des grands Lacs, Afrique Australe, Océan Indien, Seuil, p.131-180.

[12] Hélène D’Ameida-Topor1996, Naissance des États Africains, Casterman/Giunti, 128 pages.

[13] Maurice Robert, 2004, Ministre de l’Afrique. Entretiens avec André Renault, Seuil, 416 pages.

[14]  « PROFIL RD CONGO, Supplément promotionnel », Jeune Afrique paru sans le numéro 2865 du 6 au 12 décembre 2015, p.28.

[15]Bourges (H.), Wauthier (C.), 1979, « ZAÏRE », Les 50 Afriques. Afrique centrale, Afrique des grands Lacs, Afrique Austr

Thierry Amougou

Économiste, Professeur d'économie du développement à l'Université Catholique de Louvain (UCL)

Notes

[1] Achille Mbembe, 2000, De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Karthala, 334 pages.

[2] Laurent Correau, 2022, « Achille Mbembe, comprendre le devenir nègre du monde », émission audio Philosophes d’Afrique, penseurs du Monde, RFI.

[3]Ann Laura Stoler et Frederick Cooper, 2020, Repenser le colonialisme, Petite bibliothèque Payot, 176 pages.

[4] Fernand Braudel, 1986, Une leçon d’histoire, Arthaud-Flammarion, 256 pages.

[5] Christelle Taraud, 2008, La colonisation, Le Cavalier Bleu, 128 pages.

[6] Catherine Coquery-Vidrovictch, 2010, Petite histoire de l’Afrique, Payot, 224 pages.

[7] Thomas Borrel, Amzat Boukari Yabara, Benoit Collombat et Thomas Deltombe, 2021, L’empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique, Seuil, 992 pages.

[8] Frederick Cooper, 2022, L’Afrique dans le monde. Capitalisme, Empire, État-Nation, petite bibliothèque Payot, 250 pages.

[9] Ces noms sont ceux de Congolais qui marquèrent leur indocilité à l’État-colonial belge en devenant porteurs, inspirateurs et maîtres d’une spiritualité de libération de leur pays de la domination belge à différentes périodes de l’histoire de ce pays depuis le XVIIe siècle à la période de l’indépendance.

[10] Abako = Association des Bakongo, Conakat = Confédération des Associations katangaises, MNC = Mouvement National Congolais, PSA = Parti de la Solidarité Africaine.

[11] Bourges (H.), Wauthier (C.), 1971, « ZAÏRE », Les 50 Afriques. Afrique centrale, Afrique des grands Lacs, Afrique Australe, Océan Indien, Seuil, p.131-180.

[12] Hélène D’Ameida-Topor1996, Naissance des États Africains, Casterman/Giunti, 128 pages.

[13] Maurice Robert, 2004, Ministre de l’Afrique. Entretiens avec André Renault, Seuil, 416 pages.

[14]  « PROFIL RD CONGO, Supplément promotionnel », Jeune Afrique paru sans le numéro 2865 du 6 au 12 décembre 2015, p.28.

[15]Bourges (H.), Wauthier (C.), 1979, « ZAÏRE », Les 50 Afriques. Afrique centrale, Afrique des grands Lacs, Afrique Austr