Se défaire de nos pétrofictions
Dans « La pompe à essence », une nouvelle parue en 1974, Italo Calvino relevait qu’en faisant le plein à la pompe, il était possible de vivre en même temps l’ascension, l’apogée et le déclin des sociétés modernes. À l’époque, Calvino s’inquiétait du pic pétrolier et de l’épuisement des réserves.

Aujourd’hui, c’est le dérèglement climatique qui nous glace d’effroi. Le pétrole qui s’échappe en fumée est devenu menace céleste, sécheresse, pluie diluvienne, fleuve qui s’assèche, glacier qui s’effondre.
À l’exception des esprits déboussolés (obsédés par la validité des constats du GIEC), et des cyniques (bien décidés à profiter de la manne pétrolière jusqu’au bout), l’humanité du XXIe siècle sait qu’elle se trouve face à un chantier colossal et intimidant : construire un nouveau système énergétique où les énergies carbonées, qui composent encore plus de 80 % du mix énergétique mondial, seront réduites à leur portion congrue. L’habitabilité même de notre planète est en jeu.
Dans le débat public, l’attention se focalise sur les aspects techniques de cette transition. Ils ne suffisent pas : démanteler le système fossile passera aussi par un gigantesque travail de déconstruction culturelle, de réajustement de nos subjectivités, ou encore, pour reprendre la belle expression de Camille de Toledo, de réinvention de nos habitats narratifs.
Car le pétrole imbibe tellement nos vies qu’il n’a pas seulement façonné nos paysages et nos modes de vie, la manière dont nous nous déplaçons, mangeons et consommons ; il s’est aussi emparé de nos imaginaires pour nous constituer en sujets pétroliers. Étrangement, nous peinons à le voir. Comme l’écrit Jean-Christophe Cavallin dans Valet noir (José Corti, 2021) : « nous court-circuitons le monde, et au volant d’une voiture, prenons la vitesse pour notre vitesse, la mobilité comme une évidence, sans jamais penser au pétrole. Nous pensons au prix de l’essence mais jamais au pétrole ni à ses infrastructures, ni à quoi ressemble vraiment