Littérature

« Au-dedans un tout autre lui-même » – sur L’écrivain, comme personne de Patrick Kéchichian

Écrivain

Journaliste, critique littéraire – longtemps au Monde puis à La Croix, mais aussi dans les colonnes d’AOC dès son lancement –, Patrick Kéchichian est mort en octobre dernier à 71 ans. Son ultime ouvrage, L’écrivain, comme personne, un « essai de fiction » posthume paraît aux éditions Claire Paulhan, et c’est l’occasion d’un hommage par l’un des écrivains dont il fut le critique attentif, Jean-Pierre Martin.

Un ouvrage posthume est en soi émouvant. Celui de Patrick Kéchichian l’est à plus d’un titre. Il porte toutes les marques d’un dernier message, et la disparition brutale de son auteur lui donne un caractère d’événement.

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On voudrait continuer à jouir du privilège de son amitié, entendre encore au téléphone le grain de sa voix, recevoir ses messages fraternels, parfois mélancoliques ou tourmentés, souvent teintés d’humour, toujours empreints de chaleur et de générosité, et l’on tient dans nos mains ce volume publié aux éditions dirigées par sa compagne, Claire Paulhan. Comment dès lors ne pas se livrer à une critique non seulement empathique, mais affectueuse ? Du reste, il pratiquait lui-même son talent critique avec une délicatesse hors du commun (en particulier au Monde et aussi, encore tout récemment, dans ce quotidien AOC), sans pour autant abdiquer quoi que ce soit sur la singularité de son point de vue.

Avec L’écrivain, comme personne, Patrick Kéchichian nous introduit dans le cœur battant de son théâtre intérieur, dans le secret des voix qui l’habitent, décrivant une entreprise qu’il sait impossible : commenter la complexité de son rapport à l’expression, tenter de mettre de la rationalité, et même de la rhétorique dans l’observation des mouvements intérieurs désordonnés qui président chez lui à l’écriture, tout en nous prenant à témoin, en nous conviant à une sorte de soliloque sensible et réflexif. Disant cela, j’édulcore un peu. À vrai dire il nous emporte dans ses gouffres, dans ses affres et ses tempêtes. Tempête est son mot. Il imagine qu’il aurait pu écrire une épopée intitulée Naufrage, ou L’appel des grands fonds. Les métaphores sont hauturières, l’océan du dedans est plus qu’agité, la phrase est une lame capricieuse qui se brise, on a sorti les canots de sauvetage, il ne s’agit de rien moins que de ne pas sombrer.

C’est « l’heure du bilan ». Le ton est intuitivement testamentaire. Il est temps d’abattre ses cartes. Pas facile. Les mots et l


Jean-Pierre Martin

Écrivain , Professeur émérite de littérature contemporaine