Société

Pour le droit à la GPA

Juriste

Les opposants à la GPA occupent l’ensemble du spectre politique, depuis la gauche insoumise jusqu’aux partisans de la Manif pour tous, en passant par la gauche socialiste et la droite républicaine. Un étrange consensus fondé sur une commune détestation du libéralisme, qu’il soit économique, politique ou social. La gestation pour autrui serait indéfendable, et ne mériterait donc même pas discussion ?

L’usage des termes tels que « location des ventres », « esclavage », « marchandisation du corps », « vente d’enfants », « pratique eugéniste », « volonté aliénée », « bébés à la carte » ou « enfants génétiquement modifiés » mettent en évidence une stratégie discursive consistant à soustraire de la délibération démocratique la régulation de la GPA, laquelle ne mériterait que condamnation et anathème.  Inscrite dans la longue controverse sur le droit de l’individu à disposer de son corps, la GPA fait l’objet d’un inquiétant consensus négatif aussi bien politique qu’académique. Contrairement à une croyance répandue selon laquelle nous vivons dans une époque d’hyper-individualisme, ce n’est pas la personne qui dispose de sa vie et de son corps mais bel et bien l’État.

L’euthanasie est pénalement sanctionnée, le don d’organe après la mort est présumé et nous ne pouvons pas disposer librement de notre cadavre ni même de nos cendres : l’ordre public le veut ainsi… Égarés dans le labyrinthe des rapports du Comité d’éthique, du Conseil d’Etat, de l’Agence de la Biomédecine, de l’Office Parlementaire d’évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme et d’autres interventions expertales, nous risquons de perdre de vue l’idéologie sous-jacente du dispositif bioéthique français, en particulier lorsqu’il s’agit de penser (ou à vrai dire de ne pas penser) la GPA. Unique au monde, il véhicule à la fois une vision particulièrement pessimiste de l’individu, de la science et du marché et un fétichisme de l’ordre naturel, vision partagée par la gauche post-moderne et la droite conservatrice, allant de l’écologie politique à la conférence épiscopale.

La poursuite de l’intérêt individuel est jugée responsable du délitement du lien social. Le progrès scientifique est dénoncé comme soif effrénée de connaissance menant à l’aliénation de l’homme (voire son anéantissement) et l’économie de marché n’est appréhendée que sous les inégalités qu’elle engendre. Le diagnostic préimplantatoire est ainsi accusé de précipiter l’humanité vers l’abîme de l’eugénisme totalitaire et ceci à cause d’une confusion volontairement entretenue, entre, d’une part, l’eugénisme étatique raciste et génocidaire, et, d’autre part, l’eugénisme libéral qui n’a pas pour but la supériorité d’une race mais simplement l’amélioration des conditions de vie biologique des individus. L’interdiction des tests génétiques en dehors du cadre médical tout comme celle de l’autoconservation d’ovocytes participe d’une idéologie compassionnelle où seule la maladie justifierait l’intervention scientifique et la reconnaissance des droits.

Si une femme peut pratiquer une IVG, elle devrait également pouvoir mener à terme une grossesse pour le compte d’autrui.

La GPA avait été conçue autrefois dans ce registre. Le Comité d’Ethique envisageait la légalisation de la GPA comme réponse de la société à une « injustice » de la nature : l’infertilité d’origine utérine [1]. Nadine Morano, ministre de la famille en 2013, avait déclaré dans un entretien au Monde : « si la stérilité d’un couple est avérée, une femme peut porter un enfant qui n’est pas le sien génétiquement ». Une proposition de loi tendant à encadrer la GPA avait été enregistrée par la droite au Sénat en 2010 pour permettre d’inscrire la gestation pour autrui dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation. Elle deviendrait un instrument supplémentaire au service de la lutte contre l’infertilité, sans que soit reconnu pour autant un « droit à l’enfant » : « seuls pourraient bénéficier d’une gestation pour autrui les couples composés de personnes de sexe différent, mariées ou en mesure de justifier d’une vie commune d’au moins deux années, en âge de procréer et domiciliées en France. La femme devrait se trouver dans l’impossibilité de mener une grossesse à terme ou ne pouvoir la mener sans un risque d’une particulière gravité pour sa santé ou pour celle de l’enfant à naître. L’un des deux membres du couple au moins devrait être le parent génétique de l’enfant », établissait ladite proposition [2].

Aujourd’hui, le consensus anti-GPA – y compris pour des raisons médicales et au sein du couple hétérosexuel – se reflète par l’exclusion de la question dans la prochaine révision de la loi. La GPA suscite une véritable horreur alors qu’il suffirait de l’inscrire dans le répertoire des libertés fondamentales, en l’occurrence la liberté procréative. Si une femme peut pratiquer une IVG, elle devrait également pouvoir mener à terme une grossesse pour le compte d’autrui. Toutefois, souvenons-nous de l’argument de l’individualisme, brandi jusqu’à la caricature lors du débat sur l’IVG (il y a presque cinquante ans) à travers l’exemple de la mère qui ne veut pas accoucher de son enfant pour ne pas interrompre ses vacances… L’individu est présenté comme un être capricieux et égoïste, mû par l’intérêt : « je veux donc j’ai le droit », auquel il faut impérativement opposer des limites y compris contre lui-même.

Le personnalisme d’Emmanuel Mounier, fondateur de la Revue Esprit, opère une intervention idéologique particulièrement intéressante (et néfaste) dans la caricature de l’individualisme (assimilé à l’égoïsme) : « l’individu, c’est la dissolution de la personne dans la matière. […] Dispersion, avarice, voilà les deux marques de l’individualité (…) Aussi, la personne ne peut croître qu’en se purifiant de l’individu qui est en elle ». De même, il suffit d’invoquer la marchandisation [3] pour écarter tout débat sur une possible indemnisation à l’égard des donneurs et des femmes porteuses alors que tout le monde est rémunéré (chercheurs, médecins, infirmiers, personnel administratifs, avocats…) mais l’individu ne peut pas y prétendre sous peine de compromettre sa dignité. La Manif pour tous, la droite et la gauche conservatrice sont d’accord pour considérer que la GPA participe d’un nouveau marché de l’humain propre à l’ultralibéralisme et au techno-capitalisme. Or, imposer la gratuité est non seulement injuste mais suicidaire pour la pratique même de la GPA : qui voudra porter pendant neuf mois un enfant sans aucune contrepartie ? La gratuité tout comme la levée de l’anonymat pour le don de gamètes, constituent des manœuvres, plus ou moins masquées, pour boycotter les procréations assistées.

La dignité humaine est systématiquement invoquée comme le seul levier possible contre la « loi du désir » dans cette croisade anti-GPA à la française.

Un retour à la Gemeinschaft, à la société close, au collectif contre l’individuel, apparait comme une solution conservatrice possible suite à la décision de la CEDH condamnant la France pour refuser l’inscription des enfants nés par GPA à l’étranger. Ainsi, la proposition de lois n° 2277 du 14 octobre 2014 visant à lutter contre les démarches engagées par des Français pour obtenir une gestation pour autrui présentée par Jean Leonetti, celle déposée par Valérie Boyer le 8 avril 2015 visant à lutter contre le recours à une mère porteuse et plus récemment, celle de l’année dernière issue de 15 députés du groupe Les Républicains, pénalisant les parents d’intention qui recourent à une GPA y compris à l’étranger [4], présentent la GPA comme une forme de « proxénétisme procréatif » sanctionnée de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Comme cela fut le cas pour s’opposer à l’IVG et à l’accouchement « sous X » hier, les conservateurs brandissent aujourd’hui les mêmes arguments : « l’abandon d’un enfant par sa mère méconnaît également les relations qui se nouent entre eux in utero, alors que les recherches médicales récentes en ont montré l’importance dans le développement psycho-affectif de l’enfant » [5]. Peu importe le consentement de la femme puisque comme le souligne l’exposition des motifs de la proposition de loi : « Que celle-ci soit consentante ou non son corps en est réduit à l’état de bien meuble, tout comme le fruit de sa gestation, avec tous les risques médicaux que cela comporte ».

La dignité humaine est systématiquement invoquée comme le seul levier possible contre la « loi du désir » dans cette croisade anti-GPA à la française. À gauche, José Bové met sur le même plan la PMA, la GPA, les OGM (Organismes génétiquement modifiés) et les manipulations génétiques. La technique devenue autonome, selon l’écologie humaine, rend les hommes irresponsables [6]. La frange radicale du conservatisme de droite (d’habitude désintéressée de l’écologie) invoque de manière quelque peu abusive l’encyclique Laudato Si du Pape François pour s’opposer aux techniques reproductives. La Nature apparait ainsi comme un don de Dieu tout comme la vie. Traditionnellement, l’Eglise a utilisé la figure de l’usufruit pour caractériser le rapport de l’individu à son corps. Reprenant la tradition, Pie XII, dans son Allocution aux participants du VIII congrès international des médecins à Rome, le 30 septembre 1954, proclamait : « L’homme n’est que l’usufruitier, non le possesseur indépendant et le propriétaire de son corps et de tout ce que le créateur lui a donné pour qu’il en use et cela conformément à la nature ». La notion de dignité humaine vient réactualiser cette conception canonique sur laquelle se fonde toute autorité. La dignité humaine est la part indisponible de l’Humanité dans chaque individu.

Qu’ont-ils en commun les socialistes, Jean-Luc Mélenchon [7], les écologistes, la Manif pour tous et l’Eglise catholique ? La méfiance à l’égard du progrès, la négation de l’autonomie individuelle, la haine du libéralisme (en tant que philosophie qui accompagne l’essor de l’individualisme) et son corrélat le « droit-de-l’homisme ». N’oublions pas que Marx affirmait que l’idéologie des droits de l’homme était étroitement liée à l’économie capitaliste, responsables de la vague de narcissisme individualiste et des revendications infinie, dénoncées notamment par Marcel Gauchet, Pierre Legendre, Régis Debray, et trois Alain : Supiot, Badiou et Finkielkraut.

La dignité de la personne apparait comme la condition sine qua non du bien commun à la fois pour l’Eglise et pour les opposants à la GPA.

Marchandisation, esclavage, aliénation… Ce sont tant des termes mis en avant par les évêques. En effet, le groupe de travail pour la bioéthique de la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (COMECE) a publié le 23 février 2015 un « avis sur la gestation pour autrui », comparée par les évêques à « une forme de traite d’êtres humains ». Toutes les types de gestation pour autrui constituent une atteinte grave à la dignité humaine de ceux qui sont impliqués dans cet échange, estime cet avis, mettant en cause « l’emprise sur le corps de la mère porteuse », voire son « aliénation », dans la mesure où il est très difficile de reconnaître « un consentement valide dans des situations de vulnérabilité ou d’extrême pauvreté ». La dignité de la personne apparait ainsi comme la condition sine qua non du bien commun à la fois pour l’Eglise et pour les opposants à la GPA.

Présentée comme l’expression d’un droit subjectif (c’est-à-dire d’une « volonté humaine isolée », pour reprendre l’expression de J. Milbank) sur le corps humain, la GPA apparait comme contraire à l’intérêt de l’enfant et à la dignité de l’Humanité. En rompant le lien naturel entre l’activité sexuelle et la procréation, le GPA ouvre, d’après ces opposants, la voie à une marchandisation des naissances, à un contrôle eugénique de la vie humaine. Comme l’affirme Alain Supiot : « la conjugaison du scientisme et de la croyance dans le progrès conduit à une idéologie de la non-limite (…) les principes d’égalité et de liberté individuelle peuvent servir les interprétations les plus folles » [8] telle la revendication de la GPA, « délire technologique » selon le juriste, consistant à faire du projet parental le fondement de l’identité de l’enfant comme le regrette le juriste, « Dieu s’étant retiré de nos montages institutionnels, c’est l’Homme qui occupe aujourd’hui sa place ».

Ayant vaincu l’absolutisme religieux, le libéralisme apparait comme le principal ennemi des néo-conservateurs. Dans ce contexte, la GPA ne peut que réunir tous les maux de la modernité : libre disposition de soi, égalité des couples hétérosexuels et homosexuels, contractualisation des liens de filiation, désacralisation de la maternité, rémunération pour un service procréatif…  Mais, n’est-il pas hypocrite d’empêcher une femme qui souhaite améliorer sa situation économique sans lui offrir d’autres arguments que la dignité humaine pour soulager sa pauvreté ?

Si la GPA est indéfendable pour ses opposants, elle peut être vécue très paisiblement par celles qui l’ont pratiquée : « Au début, on ne se rend pas compte de l’immensité de ce que l’on accomplit. Mais au moment de l’accouchement, lorsqu’on voit ce couple devenir parent, il n’y a pas de mot pour décrire ce que l’on ressent, seulement des larmes de joie » [9]. Voici la parole d’une femme porteuse, la seule qui devrait compter in fine.

 

Daniel Borrillo, La Famille par contrat, PUF, 2018.

Le colloque « Penser la Gestation pour autrui : Aspects juridiques, philosophiques et sociologiques » organisé par le CERSA (CNRS/Paris II) et le LEGS (Paris Lumières), se tiendra le 25 octobre 2018.


[1] Avis n° 110 du CNCE, 2010.

[2] Proposition de loi n° 234 tendant à autoriser et encadrer la gestation pour autrui 27 janvier 2010

[3] Michel Onfray voit dans la gestation pour autrui le symbole de l’inégalité entre les plus aisés et les plus modestes : «Au nom de l’égalité, nous allons vers la prolétarisation des utérus des femmes les plus pauvres».

[4] Proposition de loi n° 201 visant à lutter contre le recours à une mère porteuse.

[5] Proposition de loi de Valérie Boyer.

[6] Voir notamment les travaux de Jacques Ellul (1912-1994) et Ivan Illich (1926-2002).

[7] « Un pas de plus dans la marchandisation de l’humain » selon le leader de la France Insoumise,

[8] A. Supiot, Homo Juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du Droit, Seuil, 2005, p. 80.

[9] « Une mère porteuse raconte comment elle a porté les enfants de deux couples de Français » : https://www.huffingtonpost.fr/2015/06/19/mere-porteuse-raconte-comment-elle-a-porte-enfants-de-deux-couples_n_7591864.html

Daniel Borrillo

Juriste, Maître de conférences à l'Université Paris-Nanterre

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Notes

[1] Avis n° 110 du CNCE, 2010.

[2] Proposition de loi n° 234 tendant à autoriser et encadrer la gestation pour autrui 27 janvier 2010

[3] Michel Onfray voit dans la gestation pour autrui le symbole de l’inégalité entre les plus aisés et les plus modestes : «Au nom de l’égalité, nous allons vers la prolétarisation des utérus des femmes les plus pauvres».

[4] Proposition de loi n° 201 visant à lutter contre le recours à une mère porteuse.

[5] Proposition de loi de Valérie Boyer.

[6] Voir notamment les travaux de Jacques Ellul (1912-1994) et Ivan Illich (1926-2002).

[7] « Un pas de plus dans la marchandisation de l’humain » selon le leader de la France Insoumise,

[8] A. Supiot, Homo Juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du Droit, Seuil, 2005, p. 80.

[9] « Une mère porteuse raconte comment elle a porté les enfants de deux couples de Français » : https://www.huffingtonpost.fr/2015/06/19/mere-porteuse-raconte-comment-elle-a-porte-enfants-de-deux-couples_n_7591864.html