Sans bruit ni fureur – sur Désordres de Cyril Schäublin
Un jeune géomètre russe discret et lunaire débarque dans la vallée suisse de Saint-Imier pour en établir de nouvelles cartes plus précises. Alors qu’il traverse le domaine de la vaste usine d’horlogerie du village, il est apostrophé par un groupe d’hommes qui lui demandent de ne pas entrer dans le champ de la photo qu’ils sont en train de prendre.

Face à la crise économique que connaît leur industrie, la direction lance une campagne massive de promotion qui passe par l’édition d’un catalogue illustré. Dans cette séquence se croisent déjà les multiples enjeux de l’époque que reconstitue dans son deuxième long métrage le cinéaste suisse Cyril Schäublin qui se déroulait dans un centre d’appel.
Prix de la mise en scène de la section Encounters au festival de Berlin en 2022, Désordres (Unrueh) coud une trame de fiction sur un travail de documentation fouillé, abordant le réel par le biais de la micro histoire. Le géomètre, qui n’est autre que Pierre Kropotkine, ne sera pas le seul à essuyer l’interdiction de s’inscrire dans le cadre de la photo. Ce refus n’est pas simplement circonstanciel. En leur défendant d’apparaître dans l’image, la direction écarte les petites mains du récit glorieux de la fabrication de ces bijoux techniques que sont les montres suisses. En souterrain, le film place cette légende au second plan pour donner le beau rôle de ce récit choral précisément à ceux que l’Histoire a souvent écartés de la photo de famille.
Or, ce portrait de groupe diffère en de nombreux points des représentations classiques du film ouvrier auquel le cinéma nous a habitués. Alors que les images du conflit social autour de la réforme des retraites tournent en boucle, Désordres offre un tout autre récit du rapport de force entre ouvriers et patrons et préfère s’intéresser à un système d’entraide plutôt qu’à une dynamique de lutte. Cette douceur des échanges en milieu hautement inégalitaire fait penser par instants au First Cow de Kelly Reichardt qui pointait sa camér