Vers la gamification du travail ?
Les rapports entre travail et jeux ont une longue histoire tissée d’incompréhension, en particulier parce que les seconds ont été pendant longtemps déconsidérés par les philosophes et les autorités religieuses, au nom de leur futilité ou de leur dangerosité sociale.

Il y a une dizaine d’années, l’anthropologue Roberte Hamayon[1] est revenue en détail sur les motifs et les implications de ce discrédit, que l’on pourrait penser appartenir à l’histoire ancienne, si l’on en juge par la place importante – pour ne pas dire envahissante – qu’occupent, dans des espaces sociaux variés, les dispositifs ludiques[2]. Pourtant, une observation attentive de nombre de ces derniers appelle à faire preuve de prudence avant de valider l’hypothèse d’un « retour en grâce » du jeu. Pour illustrer cette idée, je vais revenir sur un phénomène social ayant gagné en visibilité depuis une quinzaine d’années : la gamification du travail.
Pour analyser ce processus présent dans de nombreuses organisations (privées comme publiques), je dois préciser tout de suite un point : selon moi, gamifier des activités professionnelles n’équivaut pas à faire jouer durant le travail, pas plus que participer à un dispositif gamifié ne revient à jouer. Penser cela constitue, me semble-t-il, un contresens total sur ce qu’est en réalité le jouer. Pourquoi décider de recourir à un usage nominal de la forme verbale jouer ? L’idée m’est venue grâce aux travaux de Roberte Hamayon.
Tout comme c’est le cas du travailler en psychodynamique du travail[3], parler du jouer a l’avantage de conserver la dimension dynamique du verbe d’action, tout en regroupant sous un terme nominal un ensemble d’activités aux formes, aux règles et au déroulement si divers qu’on ne pense pas, a priori, à les associer à une même modalité de l’action – celle de jouer. Comme Hamayon y insiste, l’avantage d’un tel concept est qu’il oblige à s’intéresser à un processus global (le jouer) plutôt qu’à des dispositifs matériels (des jeux).