Image légendée, histoire légendaire – coda à la querelle Didi-Huberman / Traverso (1/2)
«Tout est parti d’une image, d’une seule image[1] », dans le débat qui vous a vu, cher Georges Didi-Huberman, cher Enzo Traverso, vous opposer.

Depuis la fin mai jusqu’à la fin octobre 2022, vous avez débattu, âprement parfois, de vos prises de position méthodologiques (puisqu’il était question de la bonne manière de regarder une image, de la comprendre et d’en faire usage), mais aussi esthétiques, éthiques, politiques, voire stratégiques (puisqu’il était question, aussi, de la « bonne » manière de se soulever et d’interpréter les soulèvements, ou de permettre à la gauche d’accomplir son télos révolutionnaire). Cela, donc, à partir d’une seule et même image, qui s’est avérée une véritable boîte de Pandore.
Cette image-là est une photographie de Gilles Caron (fig. 1), dont la légende évoque des « manifestations anticatholiques à Londonderry, Irlande, août 1969 ». L’inclusion de cette photographie dans l’exposition Soulèvements relèverait d’un « égarement » selon vous, Enzo Traverso, car elle montrerait nécessairement – puisque la légende l’affirme – deux jeunes Protestants unionistes exécutant la danse assassine et tristement banale de la ségrégation que subissent les Catholiques depuis plusieurs siècles déjà.
Il ne m’incombe pas, à travers cette lettre, d’intercéder en la faveur de l’un ou de l’autre. J’aimerais seulement défendre l’approche qui me semble la plus pertinente et la plus prudente lorsque l’on est confronté à une photographie de presse. Cela ne signifie pas pour autant que toutes les autres approches soient contre-indiquées : tout dépend de ce que l’on cherche à en tirer, et la richesse de vos échanges à partir de cette seule photographie en a bien témoigné. Les savoirs les plus fiables, il me semble, ne s’ancrent que dans la confrontation des idées et des méthodes et non dans leur isolement.
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Pour le dire franchement, les incertitudes et les interrogations – nombreuses, fertiles, obsédantes – qu’a provoquées l’image en cause ne m’étonnent pa