Sainte-Soline ou la politique de la zone
« STALKER. – La Zone, c’est… un système très compliqué.
De pièges, pourrait-on dire, qui sont tous mortels. Je ne sais ce qui
s’y passe en l’absence de l’homme. Mais, dès que quelqu’un apparaît
ici, tout se met en mouvement. Les anciens pièges disparaissent,
de nouveaux apparaissent. Des endroits sûrs deviennent
impénétrables. Le trajet à parcourir est parfois très simple,
parfois compliqué à l’extrême. Voilà ce qu’est la Zone. »
Andreï Tarkovski, Stalker (1979)
Une arme peut en cacher une autre. On savait déjà que la police utilisait et détournait les lanceurs de balles de défense pour blesser et mutiler des manifestants, les 24 citoyens éborgnés lors du mouvement des Gilets jaunes ayant élevé cette technique à la conscience publique. On savait qu’elle utilisait et détournait les grenades lacrymogènes GLI-F4 en arracheuses de mains. Des erreurs, des ratés ?

Comme tout accident, les erreurs et les ratés ne sont pas marginaux ou inessentiels, ils entrent de plain-pied dans la rationalité technique. Ce n’est pas l’objet technique qui détermine son usage, c’est toujours l’usage qui détermine les possibilités techniques d’un objet.
La blessure du jeune militant Serge D. à Sainte-Soline, dans le coma après avoir été frappé à la tête par une grenade GM2L, s’inscrit dans cette continuité. Mais le pouvoir n’est pas homogène et constant, il est toujours composite, en expansion, si bien que la conscience publique retarde toujours sur la réalité du pouvoir. Ces techniques morbides normalisées de dissuasion appartiennent en effet déjà à l’appareil ordinaire du pouvoir répressif (que l’on remplace les GLI-F4 par des GM2L ne modifie pas la technique établie) ; les luttes en cours laissent déjà apparaître de nouvelles techniques de pouvoir, encore inchoatives, qui s’avancent masquées sous ses formes les plus visibles.
Le 25 mars dernier, à Sainte-Soline, le pouvoir d’État avait un intérêt tactique à paraître défensif. Il voulait donner en images l’impression héroïque d