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Erdoğan vs. Kılıçdaroğlu : deux modèles de société pour la Turquie

Politiste

Ce dimanche 14 mai en Turquie ne se joue pas seulement l’avenir politique d’un dirigeant présent sur la scène internationale depuis plus de vingt ans. Les élections présidentielle et législatives mettent les 61 millions d’électeurs turcs face à un véritable choix de modèle de société. En cas d’alternance, il faudra s’attendre en revanche à peu de changements dans la conduite de la politique étrangère turque.

Parfois hâtivement réduit à une alternative entre autoritarisme et démocratie, le choix qui se présente aux électeurs turcs ce dimanche 14 mai met surtout en jeu deux conceptions de la gouvernance moderne. D’un côté, celle qui repose sur un leader puissant, concentrant les pouvoirs dans une logique césariste ; de l’autre, celle qui s’appuie sur le consensus et la négociation entre structures partisanes. Homme fort, au risque de l’autoritarisme, ou régime d’assemblée, au risque de l’instabilité ? Ce questionnement traverse nombre de régimes politiques contemporains, de l’Inde à Israël, en passant par le Brésil ou même certaines démocraties européennes, dont la France.

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Au-delà de cette question symbolique, c’est aussi parce qu’elle est devenue un acteur clé des relations internationales que l’avenir politique de la Turquie intéresse. C’est pourtant là qu’il convient de ne pas en surestimer les enjeux. Il est courant de lier les difficultés économiques du pays, sa politique étrangère disruptive et parfois déroutante, et son inflexibilité dans les affaires stratégiques, à la seule figure de Recep Tayyip Erdoğan. Les réalités sont plus complexes : nombre de tendances que l’on observe aujourd’hui en Turquie sont structurelles. Une victoire de l’opposition traduirait et refléterait les évolutions de la société turque, mais n’entrainerait pas une vraie rupture dans la logique stratégique et diplomatique du pays.

Le régime ultra-présidentiel mis en place au cours des dernières années a fait des élections une affaire de personnalité davantage que d’idéologie. Les projets de société qui s’affrontent portent sur le président Erdoğan et le modèle institutionnel qu’il a mis en place, pas sur le fond de son discours au monde. Cette situation favorise la création de coalitions hétéroclites, construites pour répondre à des impératifs politiques, souvent de court terme, et non pour porter une vision globale du rôle de la Turquie. De ce fait, quel que soit le scénario envisa


[1] Fabrice Monnier, « Le kémalisme : une parenthèse dans l’histoire turque ? », Moyen-Orient, n° 37, janvier-mars 2018, p. 36-41.

[2] Sur les méandres et la complexité de la vie politique turque durant cette période, voir notamment Dorothée Schmid, Jules Liaud, « Les coalitions partisanes en Turquie avant l’AKP, une culture politique inaccomplie », Note de l’IFRI (en ligne), 4 mai 2023.

[3] [Partiya Karkerên Kurdistan en kurde – Parti des Travailleurs du Kurdistan]). Fondé par Abdullah Öçalan, ce mouvement armé mène depuis 1984 une guérilla sanglante contre l’État turc, visant initialement à obtenir l’indépendance, puis l’autonomie, des régions kurdes de Turquie. Le PKK est actuellement classé sur la liste des organisations terroristes de la Turquie, mais également des États-Unis, du Canada et de l’Union européenne.

[4] Aurélien Denizeau, « Les coalitions politiques en Turquie à la veille des élections de 2023 », Étude de l’IFRI (en ligne), 4 avril 2023.

[5] Entretiens de l’auteur avec différentes figures de la mouvance nationaliste (Ankara, 26-27 avril 2023).

[6] Uğurcan Yardimoğlu, « Erdoğan Bahçeli’yi üzdü: Osmaniye’de Derya Yanık problemi » [Erdoğan a fait de la peine à Bahçeli : le problème de Derya Yanık à Osmaniye], OdaTV4 (en ligne), 8 avril 2023.

[7] Ariane Bonzon, Adam Levent, « Meral Akşener, une ‘louve’ nationaliste face à Erdoğan », Slate (en ligne), 27 avril 2018.

[8] Entretiens avec des militants du CHP (Istanbul et Şanlıurfa, 28-30 avril 2023).

[9] Quoique le terme soit couramment utilisé, par souci de simplification, et eu égard à la situation en Syrie, il convient de noter que ces migrants n’ont pas le statut officiel de réfugiés tel que défini par la Convention de Genève.

[10] Aurélien Denizeau, La doctrine stratégique et diplomatique de l’islam politique turc (2002-2016), Thèse de doctorat sous la direction de Michel Bozdemir, Inalco, 2019.

[11] Didier Billion, La Turquie : Un partenaire incontournable, Eyrolles, 2021, p. 146-157 ; Jean Marcou,

Aurélien Denizeau

Politiste, Chercheur indépendant spécialisé sur la Turquie

Notes

[1] Fabrice Monnier, « Le kémalisme : une parenthèse dans l’histoire turque ? », Moyen-Orient, n° 37, janvier-mars 2018, p. 36-41.

[2] Sur les méandres et la complexité de la vie politique turque durant cette période, voir notamment Dorothée Schmid, Jules Liaud, « Les coalitions partisanes en Turquie avant l’AKP, une culture politique inaccomplie », Note de l’IFRI (en ligne), 4 mai 2023.

[3] [Partiya Karkerên Kurdistan en kurde – Parti des Travailleurs du Kurdistan]). Fondé par Abdullah Öçalan, ce mouvement armé mène depuis 1984 une guérilla sanglante contre l’État turc, visant initialement à obtenir l’indépendance, puis l’autonomie, des régions kurdes de Turquie. Le PKK est actuellement classé sur la liste des organisations terroristes de la Turquie, mais également des États-Unis, du Canada et de l’Union européenne.

[4] Aurélien Denizeau, « Les coalitions politiques en Turquie à la veille des élections de 2023 », Étude de l’IFRI (en ligne), 4 avril 2023.

[5] Entretiens de l’auteur avec différentes figures de la mouvance nationaliste (Ankara, 26-27 avril 2023).

[6] Uğurcan Yardimoğlu, « Erdoğan Bahçeli’yi üzdü: Osmaniye’de Derya Yanık problemi » [Erdoğan a fait de la peine à Bahçeli : le problème de Derya Yanık à Osmaniye], OdaTV4 (en ligne), 8 avril 2023.

[7] Ariane Bonzon, Adam Levent, « Meral Akşener, une ‘louve’ nationaliste face à Erdoğan », Slate (en ligne), 27 avril 2018.

[8] Entretiens avec des militants du CHP (Istanbul et Şanlıurfa, 28-30 avril 2023).

[9] Quoique le terme soit couramment utilisé, par souci de simplification, et eu égard à la situation en Syrie, il convient de noter que ces migrants n’ont pas le statut officiel de réfugiés tel que défini par la Convention de Genève.

[10] Aurélien Denizeau, La doctrine stratégique et diplomatique de l’islam politique turc (2002-2016), Thèse de doctorat sous la direction de Michel Bozdemir, Inalco, 2019.

[11] Didier Billion, La Turquie : Un partenaire incontournable, Eyrolles, 2021, p. 146-157 ; Jean Marcou,