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La Loterie génétique est un échec pour la génétique et la politique

Biologiste

Deux ouvrages majeurs de la génétique comportementale humaine viennent d’être traduits : Blueprint de Robert Plomin (L’Architecte invisible) et The Genetic Lottery de Kathryn Paige Harden (La Loterie génétique). Rendant compte de ces publications, des médias ont mis à l’agenda la question du rôle de la génétique dans les inégalités sociales, et en particulier scolaires. Le caractère controversé de ce champ y est largement éludé, alors qu’il fait l’objet de critiques importantes, tant du côté des sciences sociales que des sciences de la nature comme la biologie de l’évolution ou la génétique classique.

Au cours de la dernière décennie, la génétique et la théorie de l’évolution se sont débattues avec leur histoire, mêlant des personnalités qui ont posé les bases de leur discipline tout en promouvant des croyances racistes, sexistes et eugénistes nauséabondes. Biologiste de l’évolution, nous avons publié un article qui critique le projet de la génétique comportementale, tant sur le plan scientifique que sur les plans éthique et politique. Il s’appuie en particulier sur une lecture critique de The Genetic Lottery, le dernier ouvrage de Kathryn Paige Harden, figure centrale de la frange progressiste de ce champ. Dans celui-ci, elle se donne pour mission a priori impossible de montrer que, en dépit de tous ses antécédents en termes d’abus, la génétique comportementale a non seulement un intérêt scientifique, mais est également un atout dans la lutte pour la justice sociale.

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Dans cette mission, elle échoue par deux fois. Dans la première moitié du livre, Harden essaie de transformer la désillusion de la génétique comportementale dans les années qui ont suivies le Human Genome Project[1] en une réussite prouvant que les gènes sont une cause majeure et importante des inégalités sociales, comme le niveau d’études ou le niveau de revenus. Dans la seconde moitié, elle tente de montrer que cette connaissance n’est pas une justification du maintien des inégalités, mais plutôt un outil qui ne peut pas être ignoré dans nos efforts pour rendre la société plus égalitaire. Disons-le clairement, elle échoue à convaincre. Harden refuse de confronter l’histoire et les trajectoires prises par sa discipline, et fatalement elle peine à défendre l’idée que les tentatives de créer un monde plus égalitaire sont entravées par le manque de considération accordé aux différences génétiques.

Dans son livre Misbehaving Science, le sociologue Aaron Panofsky documente l’histoire et les avancées de la génétique comportementale depuis ses débuts officiels dans les années 60. À travers son h


[1] Le Human Genome Project est un programme de recherche lancé en 1989 et piloté par le National Institutes of Health. L’objectif était le recueil et l’étude du génome humain et d’autres organismes modèles. Le but du séquençage du génome humain a été atteint en 2003. Ce projet a fait l’objet de plusieurs polémiques et controverses, d’ordres scientifique et éthique, à cause de l’implication d’intérêts privés (en particulier la société Celera Genomics) dans la course au séquençage ainsi que d’enjeux de biopiraterie. Le succès technologique de ce projet dans le domaine de la génomique a facilité l’étude génétique des individus et des populations humaines, et les généticiens du comportement y ont vu un moyen de poursuivre leur ascension technique par l’adoption du séquençage génomique dans leurs études.

[2] Les études de jumeaux sont des expériences conduites sur les vrais (monozygotes) et/ou faux (dizygotes) jumeaux. Elles consistent en l’étude de l’influence différenciée de la génétique et de l’environnement sur l’expression d’un trait, en l’occurrence ici comportemental ou de personnalité. Elles se basent sur plusieurs hypothèses, principalement que les jumeaux monozygotes partagent à 100 % le même patrimoine génétique, contre 50 % seulement pour les jumeaux dizygotes, et qu’ils ont le même environnement partagé. Sur ces fondements, les généticiens du comportement prétendent pouvoir estimer les variabilités de l’expression d’un trait qu’on peut attribuer à des variabilités génétiques – exprimées à travers le concept statistique d’héritabilité.

La Minnesota Study of Twins Reared Apart est une étude de jumeaux menée par l’Université du Minnesota sur des jumeaux séparés à la naissance, utilisée par certains généticiens du comportement pour étudier les déterminants génétiques du développement psychologique, comme Thomas Bouchard qui affirmait que les jumeaux séparés avaient autant de chances de développer les mêmes traits de personnalité que des jumeaux élevés ensemble.

Kevin Bird

Biologiste, chercheur postdoctorant en biologie de l’Université de Californie, Davis.

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Notes

[1] Le Human Genome Project est un programme de recherche lancé en 1989 et piloté par le National Institutes of Health. L’objectif était le recueil et l’étude du génome humain et d’autres organismes modèles. Le but du séquençage du génome humain a été atteint en 2003. Ce projet a fait l’objet de plusieurs polémiques et controverses, d’ordres scientifique et éthique, à cause de l’implication d’intérêts privés (en particulier la société Celera Genomics) dans la course au séquençage ainsi que d’enjeux de biopiraterie. Le succès technologique de ce projet dans le domaine de la génomique a facilité l’étude génétique des individus et des populations humaines, et les généticiens du comportement y ont vu un moyen de poursuivre leur ascension technique par l’adoption du séquençage génomique dans leurs études.

[2] Les études de jumeaux sont des expériences conduites sur les vrais (monozygotes) et/ou faux (dizygotes) jumeaux. Elles consistent en l’étude de l’influence différenciée de la génétique et de l’environnement sur l’expression d’un trait, en l’occurrence ici comportemental ou de personnalité. Elles se basent sur plusieurs hypothèses, principalement que les jumeaux monozygotes partagent à 100 % le même patrimoine génétique, contre 50 % seulement pour les jumeaux dizygotes, et qu’ils ont le même environnement partagé. Sur ces fondements, les généticiens du comportement prétendent pouvoir estimer les variabilités de l’expression d’un trait qu’on peut attribuer à des variabilités génétiques – exprimées à travers le concept statistique d’héritabilité.

La Minnesota Study of Twins Reared Apart est une étude de jumeaux menée par l’Université du Minnesota sur des jumeaux séparés à la naissance, utilisée par certains généticiens du comportement pour étudier les déterminants génétiques du développement psychologique, comme Thomas Bouchard qui affirmait que les jumeaux séparés avaient autant de chances de développer les mêmes traits de personnalité que des jumeaux élevés ensemble.