Récit

Ouvertures

Écrivain

Avec l’été, la fin de l’année universitaire approche : place aux textes d’étudiant·e·s de masters de création littéraire, ou, dit autrement, d’écrivain·e·s prometteurs·ses. Le récit d’aujourd’hui est issu d’un projet en cours d’un étudiant de Paris 8. « Je préfère le mot ouverture au mot début », dit le narrateur, qui, en prise avec son impossibilité d’habiter le monde, avance dans toutes les directions à la fois, fictives et réelles, mentales et factuelles. C’est aussi dans les blancs ou hiatus entre les amorces qu’il se passe quelque chose.

La plupart des accidents d’avion ont lieu dans les quinze premières ou quinze dernières minutes de vol. Pour m’évader des bruits des moteurs, du tremblement du métal et de mes pensées, j’écoute les mêmes chansons en boucle, You took your time de Mount Kimbie et King Krule, et Desire and the burning girl de Christian Scott aTunde Adjuah.

 

Sans savoir pourquoi, depuis peu j’ai remplacé ces chansons par une conférence trouvée par hasard sur Internet et l’écoute en boucle de la même façon. J’y entends Didi-Huberman parler de Deleuze parler de Leibniz dans son cours sur les plis et le baroque. La voix du premier me berce et je m’endors et réémerge au hasard du détour des développements. Ça parle d’un lac, de poissons, d’angles à arrondir. Ça parle d’âmes, d’une caverne et de tangentes impossibles. Ça parle de la mort qui n’est pas la mort mais jamais que le repli sur soi jusqu’à l’infini des atomes qui n’en finissent plus de se replier sur eux-mêmes, si bien que c’est seulement que nous paraissons disparaître. Par le hublot je vois une mer, par des vagues qui la poussent, pressée de devenir terre.

 

Un nouveau bruit me réveille, moins du fait de son existence-même que de ne pas reconnaître son origine. Alors que l’avion amorce sa descente, une hôtesse de l’air me demande de retirer les écouteurs. Je lui montre qu’ils ne sont reliés à rien et qu’il s’agit seulement pour moi de faire semblant. Elle ne veut rien entendre et ne cesse de répéter Sir, your headphones please. Les passagers autour de moi commencent à regarder la scène, peut-être sont-ce les mêmes qui applaudissent à l’atterrissage. L’entêtement de l’hôtesse est absurde mais j’obtempère. L’engin incliné, les roues arrière touchent le tarmac alors que deux regards se font, celui qui fixe, bovin et celui qui fuit, inquiet d’avoir survécu.

 

Il semble qu’on soit capable de changer de vie du tout au tout, si l’on parvenait seulement à retenir la première phrase qui au réveil nous vient à l’esprit.

 

La première scèn


Nadid Belaatik

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