Architecture

Les langues muettes de la modernité – sur la 18e Biennale d’Architecture de Venise

Architecte et éditeur

La 18e Biennale d’Architecture de Venise est l’occasion d’un décentrement du regard proposé par l’architecte et romancière ghanéo-écossaisse Lesley Lokko. À la recherche d’une nouvelle modernité mondialisée, connectée, mais aussi décarbonée et décolonialisée, la commissaire place l’Afrique au cœur de son « laboratoire du futur » avec, en toile de fond, toute une réflexion sur le langage. Mais le vieux monde n’est-il pas trop apathique pour l’entendre ?

« En architecture en particulier, la voix dominante a toujours été une voix singulière et exclusive,  dont la portée et le pouvoir ont ignoré d’immenses pans de l’humanité –  d’un point de vue de l’économie, de la création, du concept –  comme si nous écoutions et ne parlions dans une seule langue.  L’« histoire » de l’architecture est donc incomplète. Pas fausse, mais incomplète. »
Lesley Lokko

Guests of the future

Lesley Lokko, architecte et romancière, commissaire de la Biennale d’Architecture de Venise, commence parfois ses conférences en diffusant le début du documentaire Derrida (2002). Dans cet extrait, le philosophe explique que le futur est ce qui deviendra, ce qui sera. Dans une minute ou dans un siècle. C’est un programme, une prescription, un calendrier.

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Le futur, précise-t-il, est un projet, est ce qui est prévu. L’avenir, en revanche, s’en réfère à ce qui vient. To come. À quelqu’un qui vient, et qui, venant, ou arrivant, n’était pas prévisible. Le vrai futur, si l’on peut dire, l’avenir donc, tient en cet Autre qui vient, sans que je puisse m’y attendre[1]. Voici le thème de la 18e édition de la Biennale d’Architecture de Venise.

Le décentrement que propose Lesley Lokko est ainsi annoncé majeur. Davantage que la prise de conscience de la finitude et la fragilité de notre monde, la curatrice prend acte, avec un certain optimisme que l’Anthropocène ouvre l’époque d’une humanité enfin réunie dans une communauté de destin. De nouveaux possibles sont à l’œuvre, ailleurs, partout, dans la recherche d’une autre modernité, mondialisée, connectée, mais aussi décarbonée et décolonialisée. L’Afrique comme « Laboratoire du futur » : le programme semble heureux. L’engagement, total. Mais le vieux monde n’est-il pas trop apathique pour l’entendre ?

Le sujet et l’ambition du projet curatorial interrogent d’emblée la géopolitique contrainte et datée des Giardini, où se situent les pavillons nationaux. Les Suisses (Karine Sander et Philip Ursprung) ouvrent l


[1] Voir le tout début du documentaire Derrida, de Kirby Dick et Amy Ziering, 2002. Extrait utilisé par Lesley Lokko dans ses conférences.

[2] Voir Ken McNullen, Jacques Derrida – Ghost Dance, 1983, 100min ou Jacques Derrida, Spectres de Marx, Galilée, 1993.

[3] Barbara Cassin, Éloge de la traduction – compliquer l’universel, Fayard, 2016.

Marc-Antoine Durand

Architecte et éditeur, Maître de conférences à l’École nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand, chercheur au sein de l’UMR Ressources et du CERILAC Université Paris Cité

Mots-clés

Anthropocène

Notes

[1] Voir le tout début du documentaire Derrida, de Kirby Dick et Amy Ziering, 2002. Extrait utilisé par Lesley Lokko dans ses conférences.

[2] Voir Ken McNullen, Jacques Derrida – Ghost Dance, 1983, 100min ou Jacques Derrida, Spectres de Marx, Galilée, 1993.

[3] Barbara Cassin, Éloge de la traduction – compliquer l’universel, Fayard, 2016.