Écologie

« Adaptation au changement climatique », terme piégé ou pragmatiste ?

Économiste

Le sujet de l’adaptation au changement climatique s’est à nouveau retrouvé sur le devant de la scène après les déclarations du ministre de la transition écologique sur un réchauffement à +4° C à la fin du siècle. Si la perspective de l’adaptation crispe certains qui craignent que l’on renonce ainsi à lutter contre les causes du réchauffement, il faut qu’ils dépassent l’opposition stérilisante de l’« agir vs. subir » pour y substituer une dialogique plus opérante qui accepte de considérer la pertinence de l’adaptation.

Christophe Béchu, ministre de la transition écologique en parle depuis janvier et cela fait désormais l’objet d’une consultation gouvernementale qui devrait aboutir à un plan national à la fin de l’année : le pays doit se préparer à s’adapter à un réchauffement climatique qui pourrait atteindre +4°C en France à la fin du siècle.

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Ce sujet de l’adaptation au changement climatique n’est pas nouveau – c’est même l’un des objectifs de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques depuis son adoption en 1992. Il commence pourtant tout juste à entrer dans le débat public français et ne le fait pas sans provoquer des remous. Certains jugent que 4°C c’est déjà trop conservateur et rappellent que si la transition énergétique ne s’accélère pas, le niveau de réchauffement pourrait être bien plus important. D’autres dénoncent une forme d’hypocrisie du gouvernement qui mettrait plus d’énergie à gérer les conséquences qu’à s’attaquer aux causes du changement climatique.

Cela fait bientôt 10 ans que je travaille avec ce terme d’adaptation, en cherchant surtout à m’éloigner des débats purement sémantiques qui en ont longtemps fait une question trop théorique. Cependant, au moment même où le sujet devient politique en France, le sens du mot semble poser un problème.

Plusieurs dimensions critiques en freinent l’appropriation. La première voit dans l’adaptation un renoncement ; pour Thierry Ribault par exemple, économiste et chercheur au CNRS qui a notamment développé une analyse critique des politiques de résilience, « Soit on s’adapte, soit on lutte contre ». Une autre, très présente dans la littérature en sciences sociales dénonce dans l’adaptation un mouvement proprement néolibéral, une injonction à l’adaptabilité, renvoyant à chacun la responsabilité de se transformer lui-même pour faire avec l’évolution d’un contexte extérieur, en l’occurrence climatique, intransigeant.

La Grande Adaptation de Romain Felli paru en 2016[1] développe parfaitement c


[1] Romain Felli, La Grande Adaptation. Climat, capitalisme et catastrophe : Climat, capitalisme et catastrophe, Seuil, 2016.

[2] La fameuse expression « éviter l’ingérable, gérer l’inévitable » reprise en France par la délégation à la prospective du Sénat en 2019 et depuis retrouvée dans de multiples articles de presse était déjà celle utilisé par le GIEC dans son 4e rapport d’évaluation en 2007, citant le rapport d’un groupe de travail de l’ONU portant précisément de titre. Rosina Bierbaum et al., « Confronting climate change: avoiding the unmanageable and managing the unavoidable », American Scientist, vol. 95, no. 3, 2007, p. 1-5.

[3] Barbara Stiegler, « Il faut s’adapter ». Sur un nouvel impératif politique, Gallimard, 2019.

[4] Gilles Clément, Le jardin en mouvement, Sens & Tonka, 2017.

[5] GIEC, 2022 : Hans-Otto Pörtner et al. (eds.), Summary for Policymakers, dans H.-O. Pörtner et al. (eds.), Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Cambridge University Press, p. 3–33.

[6] On trouve la notion d’approche par « storyline » dans la littérature sur l’adaptation. Par exemple Theodore G. Shepherd et al., « Storylines: an alternative approach to representing uncertainty in physical aspects of climate change », Climatic Change, 151(3-4), 2018, p. 555-571.

[7] C’est-à-dire, de fait, s’interroger sur les conséquences d’une hypothèse comme si elle était vraie, sans nécessairement la considérer au départ comme telle. Cf. « Reprise de l’enquête sur les modes d’existence. Cours 5 avec Didier Debaise » [en ligne sur le blog modes of existence], 27 juin 2022.

Vivian Dépoues

Économiste, Chef de projet sénior au sein de l’Institut de l’Économie pour le Climat

Rayonnages

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Notes

[1] Romain Felli, La Grande Adaptation. Climat, capitalisme et catastrophe : Climat, capitalisme et catastrophe, Seuil, 2016.

[2] La fameuse expression « éviter l’ingérable, gérer l’inévitable » reprise en France par la délégation à la prospective du Sénat en 2019 et depuis retrouvée dans de multiples articles de presse était déjà celle utilisé par le GIEC dans son 4e rapport d’évaluation en 2007, citant le rapport d’un groupe de travail de l’ONU portant précisément de titre. Rosina Bierbaum et al., « Confronting climate change: avoiding the unmanageable and managing the unavoidable », American Scientist, vol. 95, no. 3, 2007, p. 1-5.

[3] Barbara Stiegler, « Il faut s’adapter ». Sur un nouvel impératif politique, Gallimard, 2019.

[4] Gilles Clément, Le jardin en mouvement, Sens & Tonka, 2017.

[5] GIEC, 2022 : Hans-Otto Pörtner et al. (eds.), Summary for Policymakers, dans H.-O. Pörtner et al. (eds.), Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Cambridge University Press, p. 3–33.

[6] On trouve la notion d’approche par « storyline » dans la littérature sur l’adaptation. Par exemple Theodore G. Shepherd et al., « Storylines: an alternative approach to representing uncertainty in physical aspects of climate change », Climatic Change, 151(3-4), 2018, p. 555-571.

[7] C’est-à-dire, de fait, s’interroger sur les conséquences d’une hypothèse comme si elle était vraie, sans nécessairement la considérer au départ comme telle. Cf. « Reprise de l’enquête sur les modes d’existence. Cours 5 avec Didier Debaise » [en ligne sur le blog modes of existence], 27 juin 2022.