Le revenant d’Éric Chauvier, un remake de Baudelaire
Le livre d’Éric Chauvier est un tout petit volume, tout le contraire des pavés universitaires de critique littéraire, mais la présentation alléchante de l’éditeur – au moins inspirée par son auteur, je l’imagine – avait de quoi intriguer en moi le spécialiste de Baudelaire : « Éric Chauvier montre à quel point les visions prémonitoires de Baudelaire révèlent la nature véritable des figures qui hantent nos métropoles contemporaines ». Baudelaire est aujourd’hui, sans conteste possible, le plus présent de nos grands poètes français dans la culture mondiale, et seuls les esprits frileux ou chagrins pourraient se désoler d’une telle velléité d’actualisation.

Mais, disons-le d’emblée, j’ai été dans un premier temps déçu – et presque traversé d’un mouvement de mauvaise humeur. L’essai commence par un condensé des lieux communs biographiques. Y sont donc rappelés, entre autres, le drame de l’enfance face à un général de beau-père, forcément autoritaire et traumatisant, puis l’addiction supposée au haschich. Mais Baudelaire a connu l’enfance de tous les bourgeois en herbe de son époque, bien plus proches de la mère que de la figure paternelle, et rien ne prouve, sinon à cause de notre goût pour les explications intimes, que ses chagrins de collégien aient pesé à ce point sur son destin – bien moins, sans doute, que le simple fait qu’il ait été orphelin de père (comme tant d’autres écrivains ou artistes du XIXe siècle, dont le père était mort, absent ou lointain), c’est-à-dire libre de toute vraie tutelle paternelle.
D’un point de vue strictement biographique, le fait déterminant a sans doute été l’héritage dont a bénéficié le jeune Baudelaire dès sa majorité (à 21 ans), puis sa dilapidation accélérée qui a fait sa réputation dans la bohème désargentée de Paris mais a entraîné presque aussi vite sa mise sous tutelle : certes, ces questions matérielles donnent moins à rêver qu’un œdipe mal soigné. Quant au haschich, on sait qu’il en a consommé, mais sa vraie dépendance fut,