Politique

Activer la fonction critique de la Constitution

Juriste

À entendre le droit et la Constitution comme des ressources et non comme des limites, on court le risque de perdre de vue la fonction fondamentale du droit et de la Constitution : la méfiance vis-à-vis de la loi du plus fort ou de la loi de tous contre tous. Mais la pratique institutionnelle contemporaine minimise cette fonction critique de la Constitution, avec l’aval du seul supposé contre-pouvoir, le Conseil constitutionnel.

Le corps politique et social français serait-il en train de devenir constitutionnel ? Depuis plusieurs mois, les médias égrainent les explications sur l’article 47-1 de la Constitution (pour la procédure d’adoption d’un plan de financement de la sécurité sociale), l’article 44-3 (pour la procédure dite du « vote bloqué »), l’article 49-3 (pour la procédure d’adoption d’un texte sans vote mais sur la responsabilité du Gouvernement), l’article 40 enfin (pour la procédure de recevabilité des propositions et amendements parlementaires), provoquant un intérêt soudain pour le texte constitutionnel, dont on parait découvrir le contenu et qui à la fois interpelle sur l’organisation des pouvoirs et jette une nouvelle lumière sur leur pratique.

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Mais cet intérêt se heurte à un obstacle sérieux, à savoir la représentation de la Constitution qui tend aujourd’hui à s’imposer dans l’espace public, savamment entretenue par les institutions elles-mêmes, et qui en fait un projet politique d’un grand cynisme, sur lequel il ne faudrait ainsi pas compter. Cela déporte nécessairement la discussion, voire la contestation, sur d’autres terrains.

Le message envoyé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 14 avril 2023 rendue à propos d’un texte qui modifiait le système légal des retraites est tel. S’il y constate le caractère « inhabituel » du cumul de plusieurs procédures pour faire adopter le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (recours aux articles 47-1, 44-3, 45 et 49-3 de la Constitution), il estime que cette utilisation combinée « n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative ayant conduit à l’adoption de cette loi », sans rechercher cependant ce qui pourrait la rendre inconstitutionnelle. Il arrête là son raisonnement.

Cette manière de voir la Constitution, par une instance qui s’apparente plus à un collaborateur du pouvoir qu’à un véritable contre-pouvoir de droit que constituerait


[1] Lauréline Fontaine, La Constitution maltraitée. Anatomie du Conseil constitutionnel, Amsterdam, 2023.

[2] Article 8 et dernier du Titre VII de la Constitution du 3 septembre 1791.

[3] Paul Cassia, « Le Conseil constitutionnel déchire la Constitution », blog de Mediapart, 27 mars 2020.

[4] Stéphanie Hennette-Vauchez, La Démocratie en état d’urgence. Quand l’exception devient permanente, Seuil, 2022.

[5] Rapport adopté par la mission d’information que le Sénat a constituée en décembre 2021 sur le thème de : « La judiciarisation de la vie publique : une chance pour l’État de droit ? Une mise en question de la démocratie représentative ? Quelles conséquences sur la manière de produire des normes et leur hiérarchie ? »

Lauréline Fontaine

Juriste, professeure de droit public et constitutionnel à la Sorbonne Nouvelle

Notes

[1] Lauréline Fontaine, La Constitution maltraitée. Anatomie du Conseil constitutionnel, Amsterdam, 2023.

[2] Article 8 et dernier du Titre VII de la Constitution du 3 septembre 1791.

[3] Paul Cassia, « Le Conseil constitutionnel déchire la Constitution », blog de Mediapart, 27 mars 2020.

[4] Stéphanie Hennette-Vauchez, La Démocratie en état d’urgence. Quand l’exception devient permanente, Seuil, 2022.

[5] Rapport adopté par la mission d’information que le Sénat a constituée en décembre 2021 sur le thème de : « La judiciarisation de la vie publique : une chance pour l’État de droit ? Une mise en question de la démocratie représentative ? Quelles conséquences sur la manière de produire des normes et leur hiérarchie ? »