Économie

La France au prisme de l’Afrique : pourquoi la vie chère ne suscite pas tant de colère ?

Politiste

Pourquoi des réalités économiques comparables ne suscitent-elles pas partout les mêmes effets, en termes de sentiments d’injustice et de révoltes sociales, le prix des biens étant pourtant au cœur de la vie de chaque citoyen ? En partant d’une comparaison entre la France et plusieurs pays d’Afrique, il est possible de s’interroger sur les rapports différenciés des populations aux modes d’énonciation de la justice et de l’injustice socio-économique.

On se demande souvent pourquoi des personnes en viennent à se révolter. Il est moins commun de se demander pourquoi elles ne le font pas alors que, comme le note l’historien Barrington Moore, on a bien plus l’occasion de le faire, au regard de la propension infinie des femmes et des hommes à accepter leurs peines. Depuis quelques années, la hausse des prix s’est imposée parmi les « principales préoccupations des Français », si on en croit les sondages effectués sur la question. Mais elle n’est pas pour autant devenue centrale dans la colère sociale.

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Certes, la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES) a organisé une « marche contre la vie chère » le 16 octobre 2022 à Paris, trois ans après que la révolte des Gilets jaunes fut partie d’une protestation contre la hausse du prix des carburants. Mais force est de constater que le mécontentement populaire se structure autour d’autres préoccupations quotidiennes en France, et en particulier autour du travail et des droits qui en découlent : la force des mobilisations récentes en faveur d’un système de retraites plus juste est là pour nous le rappeler.

Cela est d’autant plus frappant que, dans d’autres pays, la vie chère est au contraire centrale dans la révolte sociale. En 2019, le régime d’Omar el-Béchir, au Soudan, est tombé à la suite de manifestations protestant initialement contre le prix du pain. Plus récemment, le Kenya, la Sierra Leone, l’Afrique du Sud ou le Maroc ont connu des émeutes contre la vie chère, quand bien même l’augmentation des prix n’y était pas forcément plus marquée que dans d’autres pays. Cela montre qu’il n’y a pas de rapport mécanique entre le niveau de souffrance et la révolte sociale, ainsi que l’a montré l’historien Edward Thompson dans ses travaux sur les émeutes frumentaires. Mais cela parle aussi d’autre chose : les modes d’énonciation de la justice sociale, loin de découler de la réalité objective, s’ancrent dans des univers sociaux spécifiques au sein desquels tel


[1] Béatrice HIBOU, Irène BONO, Le gouvernement social du Maroc, Karthala, 362 pages, 2016.

Vincent Bonnecase

Politiste, chercheur au CNRS et membre de l’Institut des Mondes africains à Paris

Notes

[1] Béatrice HIBOU, Irène BONO, Le gouvernement social du Maroc, Karthala, 362 pages, 2016.