Nouvelle

Bergère

Écrivaine

La bergère de Mlle Avril, actrice de la grande époque, lui venait de sa grand-mère. Un brocanteur, lui-même arrivé de Hongrie, récupère le fauteuil. Grâce à quoi la narratrice l’acquiert. Jambe cassée, elle y jouerait presque à fenêtre sur cour, sauf que survient la Fête des Voisins où elle prend plaisir à chanter « Le Temps des cerises » aux traders qui ont repris l’appartement du patron de la boulangerie, située naguère face à l’entrepôt de Bois & Charbons, auquel on prêta une autre utilité le 16 juillet 1942. Lorsque sonne le téléphone.
L’art narratif d’Anne-Marie Garat, qui publie cet automne un éblouissant western en Alaska (Le Grand Nord-Ouest, Actes Sud), est une houle vivifiante, facétieuse et profonde. Du bonheur de la digression.

J’étais assise au coin de ma fenêtre dans le fauteuil rouge acheté naguère. Ou plutôt jadis, compte tenu du temps écoulé depuis que j’ai trouvé chez un brocanteur cette bergère, de laquelle le nom m’a plu tel que l’articulait cette canaille avec sa voix pleine de rocaille, de tonnerre roulant à grand bruit sous le feuillage et de blancs moutons bêlants, ainsi qu’on les entend dans la chanson. Par-dessus tout m’a plu follement d’apprendre que ce fauteuil appartenait naguère à Mlle Avril, une actrice du cinéma en noir & blanc, disparu depuis des lunes des écrans, sauf sur les chaînes de ciné-club à péage.

Aux dires du marchand, cette artiste de talent devenue quasi impotente, et par force casanière, passait ses journées et parfois ses nuits entières au coin de sa fenêtre dans cette élégante et spacieuse bergère (genre commodité de la conversation desquelles raffolaient les marquises d’antan) en velours du plus bel effet et de teinte cœur-de-boeuf. Elle chérissait ce siège équipé d’un dossier douillet, d’accotoirs bien garnis, avec un piètement de bonne hauteur et une profondeur d’assise qui reposent les lombaires, le fessier, ainsi que la cuisse en appui ; préférable au rocking-chair ou la chaise longue pour le repos quand on y est astreint, surtout sans un vis-à-vis pour tenir conversation, éclopée, recluse qu’elle était avec ses jambes en poteaux de mine. Le brocanteur s’excusait de l’expression. N’allez pas croire à de l’ingratitude de ma part, que je dénigre cette dame quand, bien au contraire, j’ai envers elle du respect, et même de l’affection, vu qu’elle me traitait en ami et me fourguait en exclusivité des articles de qualité à écouler quand elle manquait de liquidités. Ce qui arrivait souvent dans ses dernières années d’artiste retraitée qui ne roulait pas (depuis lurette déjà plus) sur l’or. Mais elle n’en avait aucune amertume. Elle était gaie comme un pinson en dépit de son infirmité, insouciante de sa condition autant que du qu’en dira-t-on, sans jamais s


Anne-Marie Garat

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