Roman (extrait)

Portrait huaco

Écrivaine, journaliste

Suite de notre série de bonnes feuilles étrangères, en primeur de la rentrée littéraire, avec ce premier roman et premier livre traduit en français de l’écrivaine péruvienne Gabriela Wiener – le même patronyme que celui de l’explorateur français dont des salles de musées portent le nom. Depuis le reflet d’une vitrine de l’une d’entre elles, le portrait de la narratrice se démultiplie : double vie, et mort, de son père, sa propre vie polyamoureuse, son ascendance bâtarde. À paraître aux Éditions Métailié, traduit par l’écrivaine Laura Alcoba.

Ce qu’il y a de plus étrange à être seule ici, à Paris, dans la salle d’un musée ethnographique, presque sous la tour Eiffel, c’est de penser que toutes ces statuettes qui me ressemblent ont été arrachées au patrimoine culturel de mon pays par un homme dont je porte le nom.

Dans la vitrine, mon propre reflet se mêle aux contours de ces personnages à la peau marron, avec des yeux semblables à de petites blessures brillantes, des nez et des pommettes de bronze aussi polies que les miennes, au point de former une seule composition, hiératique, naturaliste. Un arrière-arrière-grand-père est à peine un vestige dans la vie de quelqu’un, mais pas lorsque cet ancêtre a emporté en Europe rien moins que quatre mille pièces précolombiennes. Et quand son plus grand mérite est de ne pas avoir trouvé Machu Picchu, mais d’avoir été à deux doigts de le faire.

Le Musée du quai Branly est dans le VIIe arrondissement de Paris, au milieu du quai qui porte le même nom, et c’est un de ces musées européens qui renferment d’importantes collections d’art non occidental en provenance d’Amérique, d’Asie, d’Afrique et d’Océanie. Autrement dit, ce sont de très beaux musées érigés sur des choses très laides. Comme s’il suffisait de peindre les plafonds avec des motifs aborigènes australiens et d’installer plein de palmiers dans les couloirs pour que nous nous sentions un peu chez nous et oubliions que tout ce qui se trouve à cet endroit devrait être à des milliers de kilomètres de là. Moi y compris.

J’ai profité d’un voyage professionnel pour découvrir enfin la collection de Charles Wiener. Chaque fois que je pénètre dans des endroits comme celui-ci, je dois résister au désir de tout réclamer et de demander qu’on me rende tout ça au nom de l’État péruvien. La sensation s’est accentuée dans la salle qui porte mon nom et qui est remplie de figures de céramique anthropomorphes et zoomorphes de différentes cultures préhispaniques, vieilles de plus de mille ans. J’essaye de trouver une proposition de


Gabriela Wiener

Écrivaine, journaliste