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Bolsonaro, nouveau symptôme de la crise brésilienne

Journaliste

Le 7 octobre 2018 aura lieu le premier tour des élections présidentielles brésiliennes pour lequel le candidat d’extrême droite, Jair Bolsonaro, est favori. Vilipendant ses prédécesseurs, Bolosonaro profite du rejet généralisé d’une classe politique marqué par la corruption et l’enlisement du Brésil dans une crise endémique. Il profite aussi de l’amnésie de jeunes électeurs qui ne mesurent pas ce qu’a pu être la dictature militaire dont Bolsonaro revendique l’héritage.

Il a appelé à ce que le Brésil redevienne une dictature… et déclaré que le problème de l’ancienne junte militaire était de ne pas avoir tué 30 000 personnes de plus. Il a aussi dit qu’il aimerait mieux avoir un fils mort qu’homosexuel… et expliqué à une membre du congrès qu’elle ne méritait même pas qu’on la viole. Lui, toujours lui, c’est Jair Bolsonaro : 63 ans, militant d’extrême droite, membre du Congrès, ancien capitaine de l’armée, et favori de l’élection présidentielle au Brésil.

Bolsonaro est le dernier épisode d’une série de crises qui accablent le Brésil depuis 2013à l’époque où des manifestations monstres, de gauche, qui grondaient dans la rue pour réclamer un meilleur système de transport. Un mouvement qui s’est finalement muée en une force insurrectionnelle d’extrême droite, contre la Présidente Dilma Rousseff et le Parti des Travailleurs. C’était un moment de confusion qui a conduit à une élection exaltée et au final traumatique, où des candidats s’attaquaient sauvagement les uns les autres et pendant laquelle le favori, Eduardo Campos, trouva la mort dans un accident d’avion.

Dilma, une fois réélue, a emprunté une route sinueuse, s’appuyant sur des manipulations budgétaires pour soutenir la croissance économique et adoptant ainsi des mesures fiscales d’austérité qui n’ont fait que refroidir une économie déjà stagnante. Quand des enquêteurs ont ébranlé la classe politique en dévoilant un réseau de pots-de-vin et une corruption apparemment généralisée dans le service public – ce qui devait conduire à l’emprisonnement du populaire ancien président Luiz Inácio Lula da Silva –, la présidente a été évincée et remplacée par son vice-président, Michel Temer, qui s’apprête à clore l’un des pires gouvernements de l’histoire du Brésil, pas moins entaché de scandales de corruptions d’ailleurs que ses prédécesseurs.

La criminalité augmentant dans de nombreuses villes, les gens se raccrochent donc à la solution de Bolsonaro lorsqu’il sous-entend que tout criminel devrait être tué.

Depuis la destitution de Dilma, les journalistes et les analystes politiques ont porté leurs espoirs sur cette campagne, qui devait permettre de passer l’éponge. Mais voilà où nous en sommes arrivés : une majorité de Brésiliens supporte un candidat qui rappelle les temps les plus sombres de l’histoire du Brésil. Et comme si les choses n’allaient pas assez mal, Bolsonaro a été poignardé par un fanatique pendant un rassemblement au début du mois de septembre. Depuis, il a encore grimpé dans les sondages.

Jair Bolsonaro s’est imposé comme favori parce qu’un nombre significatif de Brésiliens – fatigués de toute cette violence, du chaos politique et de treize années de gauche progressiste au pouvoir – soutient sa ligne radicalement conservatrice et ses positions extrémistes. Il présente une formule attrayante pour ce pays troublé : des solutions simples pour des problèmes complexes. Et il a sa propre logique : si les droits de l’Homme défendent les droits des prisonniers, alors ils défendent probablement leurs crimes. Ainsi, selon Bolsonaro, les défenseurs des droits de l’homme doivent fatalement être aussi des criminels. Et, d’une manière ou d’une autre, beaucoup sont d’accord avec lui. La criminalité augmentant dans de nombreuses villes, les gens se raccrochent donc à la solution du candidat d’extrême droite lorsqu’il sous-entend que tout criminel devrait être tué.

Pourtant, quand ils se disent d’accord avec son discours en faveur de la torture, ou quand, simplement, ils lui passent ses propos, je ne crois pas que les Brésiliens manifestent là une quelconque nostalgie de cette dictature militaire qui a formé Bolsonaro. Il y a une explication beaucoup plus simple : les Brésiliens ne connaissent pas leur propre histoire.

Le Brésil a vécu sous une dictature de 1964 à 1985. Les atteintes aux droits de l’Homme et les actes de torture ont été enterrés par la loi d’Amnistie en 1979, adoptée par le dernier dirigeant militaire du pays. Il a fallu attendre que Dilma Rousseff devienne présidente, une ancienne guerrillera qui avait été emprisonnée et torturée, pour qu’une Commission de vérité et de réconciliation soit enfin chargée d’enquêter sur les crimes du régime.

« Le Brésil mérite de connaître la vérité » a déclaré la présidente Dilma Rousseff, mais à ce jour personne n’a été inculpé pour des crimes commis sous la dictature brésilienne.

En Argentine, il serait inimaginable que l’un des principaux candidats soit ouvertement défenseur de la torture. Là-bas, l’ancien président Raúl Alfonsín a instauré une Commission nationale sur la disparition des personnes dès 1983, initiant ainsi le procès des juntes militaires de la dictature. Au Chili, où les lois d’amnisties ont également été abrogées, le ministre de la Culture de Sebastián Piñera a démissionné le mois dernier, ayant subi le feu des critiques pour avoir questionné la validité du Musée de l’Histoire et des droits de l’Homme, chargé de documenter les abus commis pendant le gouvernement militaire d’Augusto Pinochet.

Récemment, en Uruguay, le président Tabaré Vázquez a ordonné l’arrestation pour 30 jours du commandant de l’armée Guido Maini Ríos pour « fautes disciplinaires répétées ». Selon la presse uruguayenne, Vázquez, à la tête des forces armées, a estimé que le commandant bravait la hiérarchie quand il s’est à plusieurs reprises prononcé contre la réforme du financement de la pension militaire. C’était la première fois qu’un président civil ordonnait l’arrestation d’un soldat en Uruguay, un pays qui a également condamné des ex-militaires pour des crimes commis pendant une dictature.

« Le Brésil mérite de connaître la vérité » a déclaré la présidente Dilma Rousseff après réception d’un rapport de 1000 pages présentant 29 recommandations et accusant 377 personnes d’avoir porté atteinte aux droits de l’Homme sous couvert de l’État. Mais à ce jour, personne n’a été inculpé pour des crimes commis sous la dictature brésilienne.

Il se trouve qu’environ 60% des sympathisants de Jair Bolsonaro ont moins de 34 ans. En 2016, pendant la destitution de Dilma Roussef, et alors qu’il votait pour l’évincer, Bolsonaro s’est servi de son temps de parole à la tribune pour encenser Carlos Alberto Ustra, le chef d’une unité de torture pendant la dictature, dont Dilma Rousseff a été victime. Je ne crois pas que les jeunes brésiliens sachent qui était Ustra. Après l’hommage de Bolsonaro, une page dédiée à Ustra sur Facebook a augmenté de 3, 300 % son nombre de mentions « j’aime ».

Je discutais, il y a peu, avec une jeune fille de 16 ans dont l’école avait accueilli un débat entre des candidats au Congrès. Celui qu’elle avait le moins aimé, me disait-elle, était Rui Falcão, l’ancien président du Parti des Travailleurs, désormais en campagne pour un siège à la Chambre des députés. « Il promettait plein de choses et moi je pensais juste que son parti avait été au gouvernement pendant deux décennies où l’économie n’était jamais allé aussi mal ». Elle n’était pas une aficionada de la politique et ne pouvait pas vraiment aller davantage dans les détails. Mais c’est un indice que la plupart des analystes n’ont pas pris en considération : beaucoup de Brésiliens ont passé leur vie entière sous l’administration du Parti des Travailleurs. Certains, comme cette adolescente, ont seulement connu le gouvernement de Rousseff, et ont manqué – ou oublié – les années pendant lesquelles Lula a dirigé l’expansion économique et la politique de droits civiques qui a sorti 30 millions de personnes de la pauvreté.

La bonne nouvelle est que, selon les sondages, Bolsonaro perdrait au second tour contre les candidats en tête.

Fondé sur l’idée d’un parti éthique qui aurait « fait les choses différemment », les partisans de Rousseff ont été lynchés en place publique, tels une Piñata à la merci de tous les coups, dès lors que les enquêtes sur la corruption ont commencé à ébranler le monde politique. Bien que les autres partis n’avaient pas été aussi sérieusement atteints, leur réputation n’est pas restée assez intacte pour qu’ils représentent une alternative. Pendant ce temps, Bolsonaro – tirant à boulets rouges sur tout et tout le monde – disait représenter l’anti-Parti des Travailleurs.

Une enquête mobilisant énormément de données conduite pour le journal Valor Economico a montré l’année dernière que les sympathisants de Bolsonaro, même s’ils le prennent au sérieux, ne le prennent pas au mot. Ainsi, quand Bolsonaro fait des déclarations incendiaires, misogynes et homophobes, ses soutiens pensent probablement qu’il s’attaque au politiquement correct de gauche, mais pas qu’il entend effectivement torturer des gens ou tuer un de ses fils après qu’il a fait son coming-out.

Les gens sont désenchantés par le système politique, qui pâtit de sa bureaucratie inamovible et de sa corruption tenace, mais nous n’avons toujours pas de nouveau leader. À droite, le candidat le mieux placé pour voler des votes à Bolsonaro était Geraldo Alckmin, l’ancien gouverneur de São Paulo, État du Brésil le plus prospère actuellement. Alckmin avait de bonnes chances : il a le soutien d’une alliance de partis majeurs, grâce auquel il s’arroge le plus long temps d’antenne à la télévision pour faire campagne. La campagne d’Alckmin a fait mouche, il y proclamait la sévérité avec laquelle il comptait vaincre le crime « sans balles », faisant ainsi référence aux saillies pro-armes à feu de Bolsonaro. Mais il n’a pas progressé dans les sondages. Après l’agression de Bolsonaro, Alckmin a dû revoir sa stratégie – attaquer une personne en unité de soins intensifs ne faisait pas très bonne impression. Quelques jours plus tard, une des principales figures de son parti, le Parti de la Sociale Démocratie Brésilienne, a été arrêtée pour corruption, diminuant encore les chances d’Alckmin de remporter l’élection.

Pendant ce temps-là, la gauche, orpheline de Lula, est maintenant divisée entre Fernando Haddad, ancien ministre de l’Éducation et candidat de confiance de Lula ; Marina Silva, l’ancienne ministre de l’Environnement de Lula qui est arrivée troisième aux dernières élections et qui sombre de jour en jour ; et Circo Gomes, l’ancien ministre de l’Intégration Nationale de Lula, le dernier à pouvoir incarner quelque chose comme une troisième voie.

La bonne nouvelle est que, selon les sondages, Bolsonaro perdrait au second tour contre les candidats en tête. Cela signifierait que ceux qui ne votent pas pour Bolsonaro pourraient accepter un compromis avec un candidat qui éviterait pareille régression. La mauvaise nouvelle est que le candidat de Lula, Fernando Haddad, est en meilleure position pour arriver au second tour, réduisant cette élection à l’affrontement d’un candidat du Parti des Travailleurs et d’un candidat opposé au Parti des Travailleurs. On ne risque pas de s’ennuyer dans les prochaines semaines.


Carol Pires

Journaliste

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