Rediffusion

Enseignement privé : un séparatisme social qui ne dit pas son nom

Sociologue

Donner encore plus à ceux qui ont déjà plus en prenant aux plus pauvres : tel semble être le mantra de l’Éducation nationale en matière d’accès au système scolaire. Depuis vingt ans, le séparatisme entre enseignement public et privé ne cesse de s’accroître. La mise en place en 2017 des contrats locaux d’accompagnement, loin de réduire cette ségrégation, renforce encore la tendance en élargissant les moyens limités de l’éducation prioritaire, jusque-là réservés au public, à un enseignement privé qui n’en a guère besoin. Rediffusion d’un article du 15 février 2023

Faut-il que nous soyons collectivement aveuglés pour encore nous demander si notre École s’oriente vers un système à deux vitesses ?

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Il y a bien longtemps que notre École fonctionne à plusieurs vitesses avec, à ses extrémités, deux pôles socialement ségrégués qui accueillent chacun 20 % des collégiens : l’enseignement privé, où 54 % des élèves sont issus de milieux sociaux favorisés et/ou très favorisés et l’éducation prioritaire, où au moins 60 % des élèves proviennent de milieux sociaux défavorisés. La différence entre les deux versants de ce fait social est que dans le premier cas, il s’agit d’une ségrégation choisie, alors que dans l’autre c’est une ségrégation subie.

Or cette réalité sociale, qui provient notamment de l’instauration du dualisme scolaire en 1959 et de son renforcement après 1984[1], n’est pas une découverte. Depuis plus de vingt ans, tant les études sociologiques que les statistiques publiques constatent l’augmentation continue de la ségrégation sociale et scolaire au sein du système éducatif français, sans que le ministère de l’Éducation nationale ne s’en émeuve outre mesure, car à part quelques expérimentations[2], peu a été entrepris sur cette question.

Enfin, ce n’est pas totalement exact, puisqu’en 2017, il a été décidé, sans que cela ait suscité la moindre protestation, que, via les contrats locaux d’accompagnement[3], les moyens de l’éducation prioritaire seraient désormais élargis à l’enseignement privé ! Voilà donc comment l’État entend lutter contre les effets de la ségrégation sociale et scolaire : donner encore plus à ceux qui ont déjà plus en prenant aux plus pauvres et ce, en toutes circonstances[4]. Cette conception de la « solidarité à l’envers[5] », théorisée par le sociologue Robert Merton comme « effet Mathieu », prêterait à sourire si elle ne minait les fondements même de notre contrat social.

Vingt ans d’accroissement de la ségrégation éducative : la responsabilité de l’enseignement privé

À la rentrée 2021, la part


[1] Prost Antoine, 2012, « Public, privé : les enseignements d’une longue histoire », Après-demain, 2012/1, pp. 47-49.

[2] Cf. La circulaire n° 2014-181 du 7 janvier 2015 relative à l’amélioration de la mixité sociale au sein des établissements publics du second degré qui entendait « proposer des modalités de concertation et de collaboration dans l’exercice de leur compétence respective entre les départements et les inspecteurs d’académie, directeurs des services départementaux de l’éducation nationale agissant sur délégation du recteur d’académie. Elle avait également pour objet de proposer les principes d’affectation applicables aux élèves relevant d’un secteur partagé par plusieurs collèges publics. » Bulletin officiel de l’éducation nationale, n°2, 8 janvier 2015.

[3] On pourrait tout aussi légitimement se demander dans quelle mesure l’obligation scolaire dès 3 ans, prise par le ministère Blanquer, alors qu’elle était déjà effective en métropole depuis 1994 et peu adaptée aux territoires où elle l’est moins (Mayotte et Guyane), mais qui a permis de déléguer à l’enseignement privé des crédits à hauteur de 100 M€/an, soit trois fois le montant des fonds sociaux collégiens (30 M€), n’a pas été réalisée au détriment de la préscolarisation à deux ans en éducation prioritaire.

[4] Pour une illustration concrète de ce mécanisme, la Cour des comptes montre comment la politique des options entre établissements en n’étant pas gagée par des fermetures de divisions en leur sein se répercute ailleurs, à savoir dans un autre lycée, situé dans un secteur moins favorisé (Cour des comptes, 2010).

[5] Delahaye Jean-Paul, 2022, L’école n’est pas faite pour les pauvres. Pour une école républicaine et fraternelle, Lormont, éditions Le Bord de l’eau, collection « Interventions »

[6] Zanten Agnès van (s.d.), 2008, Dictionnaire de l’éducation, Paris, Presses universitaires de France.

[7] Rares sont en effet les établissements privés qui établissent leur tarif en fonction du revenu des

Fabienne Federini

Sociologue, Docteure en sociologie

Notes

[1] Prost Antoine, 2012, « Public, privé : les enseignements d’une longue histoire », Après-demain, 2012/1, pp. 47-49.

[2] Cf. La circulaire n° 2014-181 du 7 janvier 2015 relative à l’amélioration de la mixité sociale au sein des établissements publics du second degré qui entendait « proposer des modalités de concertation et de collaboration dans l’exercice de leur compétence respective entre les départements et les inspecteurs d’académie, directeurs des services départementaux de l’éducation nationale agissant sur délégation du recteur d’académie. Elle avait également pour objet de proposer les principes d’affectation applicables aux élèves relevant d’un secteur partagé par plusieurs collèges publics. » Bulletin officiel de l’éducation nationale, n°2, 8 janvier 2015.

[3] On pourrait tout aussi légitimement se demander dans quelle mesure l’obligation scolaire dès 3 ans, prise par le ministère Blanquer, alors qu’elle était déjà effective en métropole depuis 1994 et peu adaptée aux territoires où elle l’est moins (Mayotte et Guyane), mais qui a permis de déléguer à l’enseignement privé des crédits à hauteur de 100 M€/an, soit trois fois le montant des fonds sociaux collégiens (30 M€), n’a pas été réalisée au détriment de la préscolarisation à deux ans en éducation prioritaire.

[4] Pour une illustration concrète de ce mécanisme, la Cour des comptes montre comment la politique des options entre établissements en n’étant pas gagée par des fermetures de divisions en leur sein se répercute ailleurs, à savoir dans un autre lycée, situé dans un secteur moins favorisé (Cour des comptes, 2010).

[5] Delahaye Jean-Paul, 2022, L’école n’est pas faite pour les pauvres. Pour une école républicaine et fraternelle, Lormont, éditions Le Bord de l’eau, collection « Interventions »

[6] Zanten Agnès van (s.d.), 2008, Dictionnaire de l’éducation, Paris, Presses universitaires de France.

[7] Rares sont en effet les établissements privés qui établissent leur tarif en fonction du revenu des