Rediffusion

Soulèvements de la Terre : où sont vraiment les vandales ?

Géographe

S’appuyant sur une vieille rhétorique qui vise à désigner des « vandales », le gouvernement a pris, en Conseil des ministres et à la demande du président de la République, un décret de dissolution des Soulèvements de la Terre. Mais quitte à chercher des vandales, ne vaudrait-il pas mieux tourner le regard ailleurs ? Et plutôt du côté de ceux qui œuvrent à la dégradation des écosystèmes comme de ceux qui protègent leurs exactions. Rediffusion d’un article du 22 juin 2023

Je ne sais pas si les enfants jouent encore aux gendarmes et aux voleurs dans les cours d’école. Sans doute. Parce que ces deux figures de notre imaginaire social incarnent des archétypes que les sociétés modernes ont besoin de penser pour mettre en scène ordre et subversion.

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Depuis deux siècles, un autre couple de personnages est devenu bien commode pour scénariser l’ordre social, cette fois dans un champ plus limité : les vandales et les gardiens du patrimoine.

L’histoire commence avec la Révolution française. Une vague de dégradations opérées sur des édifices religieux et aristocratiques se répand en France ; elle est l’expression d’une libération de la colère populaire contre les symboles de l’ancien monde. L’élite de la nation, l’abbé Grégoire en tête, désigne les auteurs comme autant de « vandales » ; l’évocation de ce peuple germanique du Moyen Âge qui, avec quelques autres, a déferlé sur les restes de l’Empire romain fait office de commode repoussoir. Dans le type de récit que popularise alors l’histoire nationale, les Vandales avaient endossé, à leur corps défendant, le rôle d’ennemis de la civilisation. Les députés de la Convention s’alarment du vandalisme de leurs compatriotes et s’emploient à convertir les traces monumentales du passé en patrimoine de la nation et, d’un même geste, à les nationaliser. Le moment est aux fondements de l’idée de patrimoine national qui va déferler sur l’Europe dans les décennies qui suivent.

Près d’un siècle plus tard, Victor Hugo reprend l’expression à son compte pour dénoncer le saccage de la forêt de Fontainebleau par les « bûcherons » : « la forêt de Fontainebleau est un monument ; ce que les siècles ont construit, les hommes ne doivent pas le détruire » lançait-il en 1872 ; il s’adressait pourtant au Comité de protection mis en place dans la foulée du décret qui avait, quelques années plus tôt, inventé pour le site l’instrument de protection des « séries artistiques ».

Sur la base de ces précédents, certains


[1] Leloup, Mathilde, 2021, Défendre l’humanité en protégeant son patrimoine : un nouveau mandat pour les opérations de paix onusiennes, Dalloz

Bernard Debarbieux

Géographe, Université de Genève

Notes

[1] Leloup, Mathilde, 2021, Défendre l’humanité en protégeant son patrimoine : un nouveau mandat pour les opérations de paix onusiennes, Dalloz