International

L’agriculture russe : laboratoire de guerre

Politiste

Prise par la Russie à la mi-juillet, la décision de ne pas prolonger l’accord céréalier avec l’Ukraine parachève une stratégie de long terme visant à faire de la sécurité alimentaire une arme de guerre. L’agriculture, autrefois maillon faible de l’économie soviétique, est aujourd’hui devenue un levier central à travers l’instrumentalisation du concept de sécurité alimentaire dans la conduite de la guerre qui oppose la Russie à l’Ukraine.

Le 17 juillet 2023, en représailles au maintien des sanctions à son égard, la Russie refuse de prolonger l’accord quadripartite céréalier signé le 22 juillet 2022 avec l’Ukraine, sous l’égide des Nations unies et de la Turquie, et confronte l’Occident à une nouvelle conception de la sécurité alimentaire utilisée comme arme de guerre. Alors que sa production céréalière présente des résultats spectaculaires, les 47 millions de tonnes de blé russe disponibles à l’exportation dépassant les 40 millions initialement prévus, le retrait de l’accord céréalier revêt une signification particulière.

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Devenue instrument géostratégique et levier de domination dont l’ampleur rappelle la dépendance énergétique qui liait l’Europe à la Russie, la décision du président russe déstabilise l’équilibre alimentaire international et menace la sécurité alimentaire mondiale. De cette manière, le rapport de force autour de l’exportation de la production céréalière configure un nouvel ordre mondial que la Russie tente de dessiner au gré de la guerre en Ukraine.

Comme si la Russie avait besoin de rejouer la partie d’un jeu qu’elle avait perdu face aux États-Unis et à l’Europe dans les années 1990, affaiblie qu’elle était au sortir du communisme. Vladimir Poutine, alors adjoint au maire de la ville de Leningrad, Anatoli Sobtchak, en charge des relations extérieures, gérait les flux céréaliers et l’aide alimentaire en provenance de l’Occident. Il percevait alors comme une humiliation l’affaiblissement agricole de son pays au point que l’on craignait que la famine ne le gagne.

L’agriculture russe a longtemps été perçue comme le talon d’Achille de l’économie soviétique puis russe. Pourtant, Vladimir Poutine et son administration ont réussi, en moins de vingt ans, à faire de la Russie un acteur central dans la production agricole, modifiant progressivement l’ordre mondial par le recours à l’arme de la diplomatie céréalière. Il est donc justifié de questionner la façon dont ce pays a pu passe


Estelle Lezean

Politiste, Chercheuse au Médialab de Sciences Po

Mots-clés

Guerre en Ukraine