Savoirs

Des scientifiques engagés pour le climat ?

Sociologue, Historienne et sociologue des sciences, Sociologue

Les appels à « s’engager » en tant que chercheurs et chercheuses pour le changement climatique se multiplient, encourageant les scientifiques à « sortir de leurs labos » pour investir l’espace public et militant. Et si l’engagement se situait pourtant aussi à l’intérieur des laboratoires, au sein même du travail scientifique « ordinaire » ? Éléments de réponse parmi les modélisateurs et modélisatrices du carbone du sol.

L’engagement des scientifiques est devenu plus visible dans l’espace public ces dernières années : tribunes, conférences, créations de collectifs se sont ainsi multipliées et des scientifiques reconnus sont régulièrement invités à communiquer leur expertise au public, aux étudiants et étudiantes, dans la presse, et même devant les membres du gouvernement, comme lors du séminaire gouvernemental sur le climat et l’énergie en septembre 2022.

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Cet engagement, souvent motivé par une déception face à l’insuffisance de l’action politique contre le changement climatique malgré l’alerte scientifique, s’exprime également par la participation à des actions en justice ou de désobéissance civile – en témoigne par exemple la création du groupe Scientist Rebellion en 2020. Si bien que les institutions scientifiques se sont emparées de la question : le CNRS a rendu début juillet 2023 un avis portant sur l’engagement des chercheurs et chercheuses dans l’espace public, estimant que cette question se pose désormais « de manière récurrente et massive dans le monde de la recherche ».

Cependant, si l’engagement est souvent perçu comme une participation sous diverses formes au débat public[1] ou encore à des travaux d’expertise[2] hors les murs des laboratoires et des institutions académiques, nous défendons ici l’idée que ces aspects ne représentent qu’une des facettes de l’engagement des chercheurs et chercheuses en faveur de la lutte contre le changement climatique. En effet, à partir d’une enquête au sein d’une communauté scientifique particulière, celle des modélisateurs et modélisatrices du carbone du sol[3], il apparaît que les engagements climatiques des scientifiques se manifestent également au sein même de leurs agendas et travaux de recherche, dans la vision qu’ils développent du type de « science qui compte ».

Dans un contexte d’incitations institutionnelles et financières à travailler sur des questions liées au climat, les chercheurs et chercheuses transforment de ma


[1] Voir par exemple : Christophe Bonneuil, « Cultures épistémiques et engagement public des chercheurs dans la controverse OGM », Natures Sciences Sociétés 14, no 3 (2006) : 257‑68.

[2] Voir par exemple : Giovanni Prete, « Les frontières de la mobilisation scientifique, entre recherche et administration : démarcation et alignement de la recherche finalisée face à l’introduction de pathogènes agricoles », Revue d’anthropologie des connaissances 7, no 1 (1 mars 2013).

[3] Nous avons conduit, entre octobre 2021 et août 2022, 17 entretiens avec des modélisateurs et modélisatrices du carbone du sol, auxquels s’ajoutent l’observation de réunions de recherche et une revue de littérature portant sur la modélisation du carbone du sol.

[4] Céline Granjou et Isabelle Arpin, « Epistemic Commitments : Making Relevant Science in Biodiversity Studies », Science, Technology, & Human Values 40, no 6 (novembre 2015) : 1022‑46.

[5] Stefan Cihan Aykut, Jean Foyer, et Edouard Morena, éd., Globalising the Climate : COP21 and the Climatisation of Global Debates, First issued in paperback, Routledge Advances in Climate Change Research (London New York : Routledge, Taylor & Francis Group, earthscan from Routledge, 2018).

[6] Hélène Guillemot, « La modélisation du climat en France des années 1970 aux années 2000 : histoire, pratiques, enjeux politiques », (EHESS, 2007).

[7] IPCC, « Climate Change and Land. An IPCC Special Report on climate change, desertification, land degradation, sustainable land management, food security, and greenhouse gas fluxes in terrestrial ecosystems. » (IPCC, 2019).

[8] Juliette Fournil et al., « Le sol : enquête sur les mécanismes de (non) émergence d’un problème public environnemental », VertigO, no Volume 18 numéro 2 (5 septembre 2018).

[9] Jérôme Balesdent et Dominique Arrouays, « Usage des terres et stockage de carbone dans les sols du territoire français. Une estimation des flux nets annuels pour la période 1900-1999 », Académie d’agriculture de France, 1999

Céline Granjou

Sociologue, Directrice de recherches en sociologie à l'Inrae, Lessem (Université Grenoble-Alpes)

Hélène Guillemot

Historienne et sociologue des sciences, Chercheuse CNRS au Centre Alexandre Koyré (EHESS-CNRS-MNHN)

Laure Manach

Sociologue, Doctorante rattachée au Centre Alexandre Koyré (EHESS) et au LESSEM (Université Grenoble-Alpes)

Rayonnages

Écologie Savoirs Sciences

Mots-clés

Climat

Notes

[1] Voir par exemple : Christophe Bonneuil, « Cultures épistémiques et engagement public des chercheurs dans la controverse OGM », Natures Sciences Sociétés 14, no 3 (2006) : 257‑68.

[2] Voir par exemple : Giovanni Prete, « Les frontières de la mobilisation scientifique, entre recherche et administration : démarcation et alignement de la recherche finalisée face à l’introduction de pathogènes agricoles », Revue d’anthropologie des connaissances 7, no 1 (1 mars 2013).

[3] Nous avons conduit, entre octobre 2021 et août 2022, 17 entretiens avec des modélisateurs et modélisatrices du carbone du sol, auxquels s’ajoutent l’observation de réunions de recherche et une revue de littérature portant sur la modélisation du carbone du sol.

[4] Céline Granjou et Isabelle Arpin, « Epistemic Commitments : Making Relevant Science in Biodiversity Studies », Science, Technology, & Human Values 40, no 6 (novembre 2015) : 1022‑46.

[5] Stefan Cihan Aykut, Jean Foyer, et Edouard Morena, éd., Globalising the Climate : COP21 and the Climatisation of Global Debates, First issued in paperback, Routledge Advances in Climate Change Research (London New York : Routledge, Taylor & Francis Group, earthscan from Routledge, 2018).

[6] Hélène Guillemot, « La modélisation du climat en France des années 1970 aux années 2000 : histoire, pratiques, enjeux politiques », (EHESS, 2007).

[7] IPCC, « Climate Change and Land. An IPCC Special Report on climate change, desertification, land degradation, sustainable land management, food security, and greenhouse gas fluxes in terrestrial ecosystems. » (IPCC, 2019).

[8] Juliette Fournil et al., « Le sol : enquête sur les mécanismes de (non) émergence d’un problème public environnemental », VertigO, no Volume 18 numéro 2 (5 septembre 2018).

[9] Jérôme Balesdent et Dominique Arrouays, « Usage des terres et stockage de carbone dans les sols du territoire français. Une estimation des flux nets annuels pour la période 1900-1999 », Académie d’agriculture de France, 1999