Preuves de vie – sur L’Amour fou de Jacques Rivette
La ressortie en salle de L’Amour fou, dans une copie restaurée par Les films du veilleur avec le soutien du CNC, fait inévitablement penser à celle de La Maman et la Putain, le chef d’œuvre de Jean Eustache sorti en 1973 et ressorti l’an dernier.

Même invisibilité relative (on ne pouvait voir ces films, non distribués, que dans des cinémathèques ou grâce à des copies pirates de mauvaise qualité circulant sur le web), même noir et blanc sépulcral, même durée extravagante. Le sujet même des films est similaire : la jeunesse (pré-68 dans l’un, post-68 dans l’autre), l’amour, la jalousie. Mais le film de Rivette, moins connu, n’a pas du tout le même « statut » : si le film d’Eustache est une sorte d’anomalie dans sa filmographie (il a surtout réalisé des documentaires et son autre grand film de fiction, Mes petites amoureuses, est très différent), L’Amour fou est l’acte de naissance du style rivettien. Après quelques essais peu satisfaisants dans ses films précédents, Rivette y invente son cinéma ; d’une certaine manière, tous ses films à venir seront des variations sur le « dispositif » de L’Amour fou.
Quand il entame le tournage de L’Amour fou, à l’été 1967, Rivette a déjà mis en scène deux films : Paris nous appartient, film labyrinthique portant sur une troupe de théâtre préparant une représentation de Périclès, prince de Tyr, et La Religieuse, basé sur une adaptation théâtrale du texte de Diderot que Rivette avait monté, avec Jean Gruault, au Studio des Champs-Élysées, avec déjà Anna Karina dans le rôle-titre. De ces deux films, Rivette est insatisfait. Il juge la représentation du théâtre, dans Paris nous appartient, « pittoresque », « clichée[1] ». Quant à La Religieuse, c’est une expérience « décevante », un film tourné comme « une espèce de devoir[2] » et non pas à partir d’un sentiment de nécessité.
Une expérience de tournage, pour la télévision cette fois, lui donnera l’impulsion qui lui manque pour réaliser un film qui conjurerait ces deux semi-éch