Faire des inégalités sociales de santé un objet de débat
Le fait de l’inégalité sociale face à la maladie et la mort n’est pas objet de débat, ni en France ni ailleurs. Il retient peu l’attention des médias, des syndicats et des partis politiques, y compris de gauche : il en est d’ailleurs très peu question lors des échéances électorales, ou seulement de façon marginale ou indirecte. Le récent mouvement français contre les réformes des retraites semble même témoigner, comme les précédents, de la silencieuse acceptation des inégalités sociales de santé (ISS). De façon révélatrice, les banderoles qui en parlent – « À 64 ans, un tiers des plus pauvres sont morts », « Métro, boulot, tombeau », « La retraite, pas l’arthrite » – dénoncent le recul de l’âge légal de départ à la retraite, non l’inégalité sociale face à la mort ; le raccourcissement du temps de la retraite, non l’inégale brièveté de la vie. Tout se passe comme s’il fallait adapter l’âge de départ à la retraite à un fait immuable.

Les ISS font pourtant l’objet depuis plusieurs décennies de nombreux rapports publics et travaux de recherche en épidémiologie, en démographie et en sciences sociales. Publiées dans les années 1980, les premières études de la cohorte Whitehall montraient qu’au Royaume-Uni les ouvriers non-qualifiés présentaient un risque de mortalité 4 fois supérieur à celui des cadres[1], quelles que soient les périodes de vie. Ces données statistiques ne disaient certes rien de l’hétérogénéité des milieux dans lesquels évoluent les individus des différentes classes sociales, de la diversité de leurs habitudes de vie, de leurs convictions, de leurs goûts. Elles disaient cependant une chose que nous pouvons difficilement ignorer : mourir jeune est nettement moins inhabituel pour un ouvrier que pour un cadre. Aujourd’hui encore, ce constat reste exact[2].
Bien documentées, ces inégalités ne font d’ailleurs pas l’objet d’une connaissance seulement scientifique, mais aussi d’une connaissance sensible et ordinaire, comme en témoigne la variabilité d