Littérature

Les contours de la disparition – sur Inventaire de choses perdues de Judith Schalansky

Philosophe et auteure

Inventaire de choses perdues de Judith Schalansky est un recueil de douze courts textes qui racontent l’histoire d’une chose perdue à un moment et dans un lieu donné. Entre l’archive, l’histoire, et la poésie conceptuelle, cet inventaire mélancolique nous permet de penser et d’éprouver l’écoulement du temps.

Ce livre, signé Judith Schalansky, autrice allemande née en 1980, est un ovni : un véritable « objet volant non identifié », qui nous arrive d’une autre planète pour nous parler de la nôtre. Qu’est-ce qui, depuis que le monde existe et que nous sommes là pour le voir, a disparu ? Qu’est-ce qui a été enfoui, détruit, pulvérisé ; qu’est-ce que notre mémoire a expulsé ?

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Ovni, d’abord, ce livre l’est car il est un livre de classement (un inventaire) pourtant totalement inclassable. Difficilement définissable par le biais d’une catégorie telle que le « genre littéraire », il n’est en effet ni un essai, ni un roman : il n’est ni dans la fiction, ni dans la non-fiction. Et en réalité, il tend même à faire de ces distinctions de lointains dinosaures ou des entités d’un autre temps. Disons, peut-être, que c’est un recueil de douze courts « textes ». Dans chacun d’eux, Judith Schalansky raconte l’histoire d’une chose perdue à un moment et dans un lieu donné, dessinant les contours d’une disparition : espèce animale, île, palais romain, manuscrits Grec, bobine de film allemand, etc. L’ensemble, hybride, mélancolique et d’une grande intensité, compose donc un « inventaire », à la Perec, mais aussi un catalogue de personnages, avec quelques images, à la Sebald. Peut-être est-il toutefois inutile, pour le présenter, de chercher des échos et des familles : il faut accepter de plonger dans un livre absolument nouveau, dans sa forme comme dans l’écriture qu’il invente.

Son entreprise singulière, Judith Schalansky la lance dans une double page préliminaire, conçue en diptyque y compris dans sa mise en page : elle présente sur la première page une liste de tout ce qui a disparu pendant l’écriture du livre – des objets de différentes natures, dans différents espaces, à différents moments, et qui ont subi divers processus de disparition. Un atterrisseur s’est écrasé sur Mars, des temples ont été dynamités à Palmyre, un lac au Guatemala s’est asséché, par exemple. Puis, au vers


[1] Walter Benjamin, Origine du drame baroque allemand, 1928.

[2] Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale (II,1), 1887.

Léa Veinstein

Philosophe et auteure

Rayonnages

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Notes

[1] Walter Benjamin, Origine du drame baroque allemand, 1928.

[2] Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale (II,1), 1887.