Spectacle vivant

Faire fondre les images gelées – sur Carte Noire nommée désir de Rébecca Chaillon

Sociologue du théâtre

La force politique inédite du spectacle de Rébecca Chaillon tient notamment à la façon dont il assume une conflictualité constructive avec les spectateur.ices. À une époque où on tend à réduire le débat démocratique à l’alternative entre clash violents formulant des différents irréconciliables et consensus mou souvent réalisé au prix de l’écrasement des points de vue minoritaires, c’est peu dire que l’esthétique de l’ambivalence de Carte Noire nommée désir tranche.

Ce n’est pas souvent, au théâtre, qu’on a la sensation d’assister à un événement. C’est ce que j’ai ressenti la première fois que j’ai vu Carte Noire nommée désir, en février 2022. Pourtant, c’était avant que le spectacle ne devienne un véritable phénomène médiatique et avant que son effet d’électrochoc s’actualise dans une réception violente, sur les réseaux sociaux et lors de représentations du spectacle au Festival d’Avignon en juillet 2023. On était à vrai dire un peu « entre nous » ce soir-là, au Carreau du Temple, dans cet entre-soi qu’on reproche souvent aux spectacles militants. Nous ? Des personnes à la sensibilité de gauche, anti-racistes et féministes, parmi lesquel.les beaucoup de personnes queer et LGBTQI+, de personnes racisées et d’allié.es. On pourrait parler de réception communautaire, non au sens d’un repli identitaire mais au sens où la plupart des spectateur.ices se sentaient en familiarité politique et d’être au monde avec les artistes et avec le spectacle.

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Il faut dire que, quand on est une personne racisée et/ou appartenant à une minorité de genre ou sexuelle, aujourd’hui encore, on ne se sent pas seulement en minorité dans la société de tous les jours, on se sent souvent en fragilité – et pas tout à fait en sécurité. Alors oui, parfois, ça fait du bien de se sentir entouré.es de gens certes très différent.es les un.es des autres et de nous, mais dont on pressent et ressent qu’ils et elles partagent cette expérience de vie et cette expérience de la vie en commun. Et quand on s’était levé.es à la fin, ce n’était pas qu’une standing ovation, c’était un mouvement de joie collectif, une façon de dire notre reconnaissance et de renvoyer un peu de l’énergie vitale que le spectacle et les performeuses nous avaient si généreusement donné.

En sortant, je m’étais dit que je voulais absolument revoir Carte Noire, et pas qu’une fois. D’abord, parce qu’il m’avait mis une claque comme aucun spectacle depuis Rwanda 94 (et c’était en 2002) et que la


[1] Voir Mathieu Magnaudeix, « Depuis Avignon, le plaisir gâché de Rebecca Chaillon et ses comédiennes », Médiapart, 29 novembre 2023.

[2] Paul B. Preciado, Dysphoria Mundi, Paris, Grasset, 2022.

[3] Ibid., p. 19.

[4] Ibid., p. 43.

[5] Ibid., p. 283.

[6] Ibid., p. 43.

[7] Idem.

[8] Éric Macé, « Stéréotypes, contre-stéréotypes, néo-stéréotypes, anti-stéréotypes », communication donnée lors de la journée d’étude « Stéréotypes », organisée par le Groupe de recherche Achac avec le soutien de la DILCRAH et de l’ANCT, 13 avril 2021.

[9] Rebecca Chaillon, Boudin Buiguine Best of Banane, Paris, L’Arche, 2023.

Bérénice Hamidi

Sociologue du théâtre, professeure en études théâtrales à l'Université Lyon 2 et membre de l'Institut Universitaire de France

Notes

[1] Voir Mathieu Magnaudeix, « Depuis Avignon, le plaisir gâché de Rebecca Chaillon et ses comédiennes », Médiapart, 29 novembre 2023.

[2] Paul B. Preciado, Dysphoria Mundi, Paris, Grasset, 2022.

[3] Ibid., p. 19.

[4] Ibid., p. 43.

[5] Ibid., p. 283.

[6] Ibid., p. 43.

[7] Idem.

[8] Éric Macé, « Stéréotypes, contre-stéréotypes, néo-stéréotypes, anti-stéréotypes », communication donnée lors de la journée d’étude « Stéréotypes », organisée par le Groupe de recherche Achac avec le soutien de la DILCRAH et de l’ANCT, 13 avril 2021.

[9] Rebecca Chaillon, Boudin Buiguine Best of Banane, Paris, L’Arche, 2023.