Histoire

Lettres et structuralisme – sur la correspondance Jakobson-Lévi-Strauss

Sociologue

La correspondance entre Jakobson et Lévi-Strauss, parue au Seuil, renouvelle l’histoire souvent trop abstraite du structuralisme. Donnant à voir les aspects personnels, matériels et institutionnels du travail de ces deux hommes, elle fait apparaitre le structuralisme comme un paradigme transnational.

« Le structuralisme devient doctrine officielle ; on lui en fera vite grief »
Lettre de Roman Jakobson à Claude Lévi-Strauss, datée du 2 mars 1953.

 

Il est désormais admis que les correspondances d’écrivains constituent de précieux matériaux pour dépasser la question de l’interprétation des textes et saisir les conditions sociales de production des œuvres littéraires : même entre pairs, on aborde dans des correspondances bien d’autres sujets que celui des travaux en cours, l’espace semi-privé de l’épistolaire étant relativement protégé des modalités d’engagement que suppose la publication et laissant, bien sûr, plus de place à l’intime.

Les correspondances des scientifiques, des chercheurs ou des universitaires ne bénéficient pas exactement du même traitement. On ne fait pas « œuvre » de la même manière dans le champ littéraire que dans les champs académique et scientifique, et par conséquent la question de l’unité des écrits ne se pose pas de la même manière pour les chercheurs et pour les écrivains. Des travaux récents en histoire sociale des sciences humaines et sociales ont ouvert de nombreuses pistes de réflexion à ce sujet [1]. Celles-ci soulignent notamment que la frontière relativement floue entre ce qui relève des archives de la recherche et ce qui relève des archives privées témoigne du caractère double des représentations contemporaines de la production scientifique, a fortiori lorsqu’elle se déploie dans des établissements de recherche et d’enseignement supérieur.

En tant que production intellectuelle, la science semble en effet inséparable d’une conception individuelle, personnalisée et personnalisante de la production du savoir. En même temps, en ce qu’elle est également un fait d’institution, elle est envisagée comme une production professionnelle et collective et, à ce titre, elle se présente comme officiellement séparée de la sphère personnelle. C’est précisément cette double dimension, individuelle et collective, de la production scientifique qu’


[1] Voir par exemple Jean François Bert, Qu’est-ce qu’une archive de chercheur ? Marseille, Open Edition Press, 2014 ; et Emmanuelle Picard, « Les archives de l’enseignement supérieur français à l’époque contemporaine : un chantier d’avenir ? », in L. Rollet (dir.), Mémoire et culture matérielle de l’Université, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2008, p. 51-62.

[2] Voir Johan Heilbron, « Qu’est-ce qu’une tradition nationale en sciences sociales ? », Revue d’histoire des sciences humaines, 2008/1, n°18, p. 3-16.

[3] Voir Catherine Depretto, « Roman Jakobson et la relance de l’Opojaz (1928-1930) », Littérature, 1997 n°107, p. 75-87. Voir aussi Frédérique Matonti, « L’anneau de Moebius. La réception en France des formalistes russes », Actes de la recherche en sciences sociales, 2009, vol. 1 n° 176-177, p. 52-67.

[4] Voir par exemple : François Chaubet et Emmanuelle Loyer, « L’école libre des hautes études de New York : exil et résistance intellectuelle (1942-1946) », Revue Historique, 302/4, n°616, Octobre-décembre 2000, p. 99-972 ; Laurent Jeanpierre, « Les structures d’une pensée d’exil: la formation du structuralisme de Claude Lévi-Strauss », French Politics, Culture and Society, 28/1, 2010, p. 58-76.

Lucile Dumont

Sociologue, doctorante à l'EHESS - Centre Européen de Sociologie et de Science Politique

Notes

[1] Voir par exemple Jean François Bert, Qu’est-ce qu’une archive de chercheur ? Marseille, Open Edition Press, 2014 ; et Emmanuelle Picard, « Les archives de l’enseignement supérieur français à l’époque contemporaine : un chantier d’avenir ? », in L. Rollet (dir.), Mémoire et culture matérielle de l’Université, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2008, p. 51-62.

[2] Voir Johan Heilbron, « Qu’est-ce qu’une tradition nationale en sciences sociales ? », Revue d’histoire des sciences humaines, 2008/1, n°18, p. 3-16.

[3] Voir Catherine Depretto, « Roman Jakobson et la relance de l’Opojaz (1928-1930) », Littérature, 1997 n°107, p. 75-87. Voir aussi Frédérique Matonti, « L’anneau de Moebius. La réception en France des formalistes russes », Actes de la recherche en sciences sociales, 2009, vol. 1 n° 176-177, p. 52-67.

[4] Voir par exemple : François Chaubet et Emmanuelle Loyer, « L’école libre des hautes études de New York : exil et résistance intellectuelle (1942-1946) », Revue Historique, 302/4, n°616, Octobre-décembre 2000, p. 99-972 ; Laurent Jeanpierre, « Les structures d’une pensée d’exil: la formation du structuralisme de Claude Lévi-Strauss », French Politics, Culture and Society, 28/1, 2010, p. 58-76.