Théorie de la métamorphose
J’en ai souvent rêvé. Me renfermer dans un cocon, peu importe lequel. Une pièce de mon appartement, une maison de campagne dans un pays lointain, un sous-marin au fond de la mer. Couper toute relation au monde et s’abandonner au travail de la matière. Sentir mon âme se tailler et se souder à nouveau sous une nouvelle forme. Éprouver une force qui la cisèle, qui la change de part en part. Se réveiller et ne rien retrouver de ce que je croyais appartenir à mon moi. Se réveiller et s’apercevoir que même le monde qui m’entoure est irréparablement différent – en texture, en intensité, en luminosité.

J’en ai souvent rêvé. S’enrouler dans la soie jusqu’à couper toute relation au monde pendant des jours et des jours. Se construire un œuf tendre et candide à l’intérieur duquel laisser travailler son corps. Traverser un changement à tel point radical que le monde lui-même ne sera plus le même. Ne plus pouvoir voir de la même manière. Ne plus pouvoir entendre de la même manière. Ne plus pouvoir vivre de la même manière. Devenir irreconnaissable. Habiter un monde lui-même devenu irreconnaissable.
J’en ai souvent rêvé. Avoir la puissance des chenilles. Voir des ailes surgir de son corps de ver. Voler au lieu de ramper sur le sol. S’appuyer sur l’air et non sur la pierre. Passer d’une existence à l’autre sans devoir mourir et renaître et par là-même faire basculer le monde sans le toucher. La forme la plus dangereuse de magie. La vie la plus proche de la mort. La métamorphose.
Nous avons fait du mouvement et de la transformation deux fétiches. Et pourtant tout est fait pour rendre le mouvement impossible.
Je me suis longtemps demandé pourquoi ce n’était qu’un rêve. Pourquoi je ne la vis jamais à l’état de veille. Il y a tout d’abord un malaise autour du changement.
Nous avons fait du mouvement et de la transformation deux fétiches. Et pourtant tout est fait pour rendre le mouvement impossible. Nous n’aspirons qu’à bouger, à changer de place dans la société, à muter dans un autre