Culture

Entre best-sellers et marchés de niche, la fragilisation des produits culturels « du milieu »

Sociologue

Jamais les productions culturelles dites indépendantes n’ont été autant célébrées. Ceci a de paradoxal que l’essor du secteur indépendant n’a pas entamé la prédominance des grands groupes, bien au contraire. Dans un mouvement de polarisation du marché, ce sont en fait les moyennes productions qui sont perdantes. Perdantes aussi, les populations les moins armées pour affronter la profusion de l’offre – dont la diversité est souvent cantonnée à des niches.

L’arrivée du numérique et d’internet a fait naître de nombreux espoirs en matière de diversité culturelle : plus de liberté pour exprimer ses opinions et son pouvoir créatif, plus de facilités pour s’informer ou accéder à des produits culturels de niche, plus d’opportunités pour découvrir des contenus originaux ou pour enrichir ses expériences culturelles… la liste des promesses associées au développement des NTIC est presque sans limite.

L’enthousiasme des débuts est en partie retombé et les interrogations sont désormais nombreuses sur la réalité des effets conjugués des réseaux sociaux et des algorithmes sur la diversité des consommations culturelles. Toutefois, l’appréciation portée sur la réalité de ces effets se heurte à un obstacle de taille : la polysémie de la notion de diversité. Comment la définir et surtout en donner une mesure objective ?

La plupart des chercheurs ayant tenté de relever le défi dans le domaine culturel ont mobilisé le modèle proposé par Andrew Stirling dans le cadre des réflexions sur l’évolution de la bio-diversité [1], dont la principale vertu est de décomposer la notion de diversité en trois dimensions qu’on peut brièvement décrire ainsi : celle de la variété correspond au nombre total de produits différents répertoriés, celle de l’équilibre à la répartition des groupes de produits et celle de la disparité au degré de différence entre ces différents groupes de produits.

Chacune de ces trois dimensions représente une condition nécessaire mais non suffisante pour juger du niveau de diversité des produits offerts ou consommés sur un marché ou pour comparer deux situations dans le temps ou dans l’espace. Plus la variété sera grande, plus la répartition sera équilibrée et plus le niveau général de disparité sera important, plus la diversité sera considérée comme élevée, mais rien n’assure que les évolutions sur chacune des trois dimensions soient concordantes.

L’autre difficulté majeure tient au fait que l’impact de la révolution numériqu


[1] Andrew Stirling, « On the Economics and Analysis of Diversity », Electronic Working Papers Series, n° 28, déc. 1998 ; Andy Stirling, « A general framework for analysing diversity in science, technology and society », Journal of the Royal Society Interface, vol. 4, n° 15, 22 août 2007.

[2] Ajoutons toutefois que la hausse de la variété consommée résulte aussi pour partie des stratégies des grands groupes (les principales maisons d’édition et les majors du disque) qui ont contribué à entretenir une forme de sur-production en mettant sur le marché quantité de nouveautés ou de compilations, offres spéciales et rééditions provenant de leur fond de catalogue.

[3] Le SNEP estimait le volume global d’écoutes sur les plateformes de services audio à 28 milliards de titres en 2016, soit une multiplication de quatre par rapport à 2013, et les revenus provenant de l’écoute de musique en flux sur les plateformes de services audio et vidéo à 197 millions d’euros. La progression s’est poursuivie en 2017 avec une estimation de 42 milliards de titres écoutés et de 243 millions d’euros de revenus, soit 41 % du chiffre d’affaires global du marché de la musique enregistrée. Voir le Bilan 2017 du marché de la musique enregistrée, SNEP, 2018.

[4] Sur la notion d’exploration curieuse proposée par Nicolas Auray, voir l’ouvrage dirigé par Dominique Pasquier Explorations numériques. Hommages aux travaux de Nicolas Auray, Presses des Mines, 2017.

Olivier Donnat

Sociologue, Chercheur au Département des études, de la prospective et des statistiques

Notes

[1] Andrew Stirling, « On the Economics and Analysis of Diversity », Electronic Working Papers Series, n° 28, déc. 1998 ; Andy Stirling, « A general framework for analysing diversity in science, technology and society », Journal of the Royal Society Interface, vol. 4, n° 15, 22 août 2007.

[2] Ajoutons toutefois que la hausse de la variété consommée résulte aussi pour partie des stratégies des grands groupes (les principales maisons d’édition et les majors du disque) qui ont contribué à entretenir une forme de sur-production en mettant sur le marché quantité de nouveautés ou de compilations, offres spéciales et rééditions provenant de leur fond de catalogue.

[3] Le SNEP estimait le volume global d’écoutes sur les plateformes de services audio à 28 milliards de titres en 2016, soit une multiplication de quatre par rapport à 2013, et les revenus provenant de l’écoute de musique en flux sur les plateformes de services audio et vidéo à 197 millions d’euros. La progression s’est poursuivie en 2017 avec une estimation de 42 milliards de titres écoutés et de 243 millions d’euros de revenus, soit 41 % du chiffre d’affaires global du marché de la musique enregistrée. Voir le Bilan 2017 du marché de la musique enregistrée, SNEP, 2018.

[4] Sur la notion d’exploration curieuse proposée par Nicolas Auray, voir l’ouvrage dirigé par Dominique Pasquier Explorations numériques. Hommages aux travaux de Nicolas Auray, Presses des Mines, 2017.