Culture

La « juste place » des œuvres africaines

Géographe

Dans un contexte de débats importants sur les œuvres africaines détenues par les musées occidentaux, l’exposition « The African Origin of Civilization » du Metropolitan Museum of Art de New York ambitionne de tenir un propos plus juste. Son initiative n’est pourtant pas si téméraire que cela et devient taiseuse quand se posent des questions de justice.

Le Metropolitan Museum of Art de New York, le Met pour les intimes, propose depuis bientôt deux ans et pour quelques mois encore une exposition modeste en taille mais très instructive. Instructive parce qu’elle illustre à elle seule plusieurs façons de concevoir la « juste place » qu’il convient de donner aux objets provenant d’Afrique dans (ou hors) des musées occidentaux.

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L’exposition se situe dans la section baptisée «Arts d’Égypte», dans l’angle nord-est du bâtiment. Le visiteur est accueilli par deux statues en pied de la déesse Sekhmet gardant l’entrée d’une salle sombre avec en guise de fronton le titre de l’exposition : «The African Origin of Civilization». Il est alors entraîné dans un flux d’installations couplant chacune une œuvre de l’Égypte antique et une autre d’Afrique centrale ou occidentale[1] : par exemple, une faïence bleue de l’époque ptolémaïque représentant la déesse Isis allaitant son fils Horus côtoie une statue de bois d’une femme et d’un nourrisson accroché à son sein gauche, fabriquée en pays Senoufo à la charnière des XIXe et XXe siècles ; à une statue en marbre d’un couple enlacé depuis 4600 ans, venue sans doute de la région de Memphis, répond une autre, aux gestes tout aussi affectueux, faite de bois et de métal, sculptée par des Dogons à la fin du XVIIIe siècle ; une gravure sur gneiss représentant le roi Sahure flanqué d’un dieu, remontant à la 5e dynastie des pharaons, jouxte une plaque en laiton représentant des guerriers edo de la cour du Bénin, probablement coulée à la fin du XVIe siècle. L’appariement de pièces égyptiennes et sub-sahariennes se répète ainsi 21 fois[2].

Pour qui le message ne serait pas assez clair, les commissaires de l’expositionAlisa LaGamma, conservatrice en charge du « département des arts d’Afrique, Océanie et des Amériques », et Diana Craig Patch, conservatrice en charge du « Département d’art égyptien » – ont pris la peine de rédiger leurs intentions : « À l’aide de 21 couplages d’œuvres afri


[1] Quelques autres œuvres d’origine subsaharienne sont dispersées dans le reste du musée, toujours en jouant des similitudes de motifs et de formes avec des œuvres auprès desquelles elles ont été disposées.

[2] L’intégralité des œuvres sont visibles dans le numéro de The Metropolitan Museum of Art Bulletin, v.79, no. 4, 2022 consacré à l’exposition. Les citations non référencées qui suivent viennent aussi de ce dossier.

[3] Cheikh Anta Diop, 1974, The African Origin of Civilization: Myth or Reality. L’original en françaisAntériorité des civilisations nègres : mythe ou vérité historique ? , Paris, Présence Africaine date de 1967, et une bonne part du contenu emprunte à sa thèse rédigée dans les années 1950.

[4] Le dossier publié par la revue du Met est un peu plus disert : « L’approche interdisciplinaire de Diop défie les attitudes prévalant alors concernant la place de l’Afrique dans l’histoire et promeut un recentrage sur le continent conçu comme source de nos premiers ancêtres et de pratiques culturelles largement diffusées » The Metropolitan Museum of Art Bulletin, v.79, no. 4, 2022.

[5] Au début du XXe siècle, l’anthropologue Franz Boas travaillait à l’AMNH et suggérait « qu’il vaudrait mieux séparer entièrement les collections anthropologiques de celles qui ont trait à l’histoire naturelle ». Il n’est pas entendu et démissionne en 1905. Cité par Krzysztof Pomian, 2022, Le Musée. Une histoire mondiale. Vol 3, « A la conquête du monde. » Paris, Gallimard, p 446.

[6] Voir Susan Vogel, 1982, «Bringing African Art to the Metropolitan Museum», African Arts, vol. XV, n° 2, 1982, pp. 38-45

[7] Jack Goody, 2010, Le vol de l’histoire. Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde, Paris, Gallimard.

[8] Extrait d’une conférence donnée dans son propre musée. Cité par Bernice Murphy lors du Forum de l’UNESCO « Mémoire et universalité », Siège de l’UNESCO, Paris, 5 février 2007, publié dans Lyndel V. Prott (dir.), 2011, Témoins de l’Histoire, Unesco

Bernard Debarbieux

Géographe, Université de Genève

Notes

[1] Quelques autres œuvres d’origine subsaharienne sont dispersées dans le reste du musée, toujours en jouant des similitudes de motifs et de formes avec des œuvres auprès desquelles elles ont été disposées.

[2] L’intégralité des œuvres sont visibles dans le numéro de The Metropolitan Museum of Art Bulletin, v.79, no. 4, 2022 consacré à l’exposition. Les citations non référencées qui suivent viennent aussi de ce dossier.

[3] Cheikh Anta Diop, 1974, The African Origin of Civilization: Myth or Reality. L’original en françaisAntériorité des civilisations nègres : mythe ou vérité historique ? , Paris, Présence Africaine date de 1967, et une bonne part du contenu emprunte à sa thèse rédigée dans les années 1950.

[4] Le dossier publié par la revue du Met est un peu plus disert : « L’approche interdisciplinaire de Diop défie les attitudes prévalant alors concernant la place de l’Afrique dans l’histoire et promeut un recentrage sur le continent conçu comme source de nos premiers ancêtres et de pratiques culturelles largement diffusées » The Metropolitan Museum of Art Bulletin, v.79, no. 4, 2022.

[5] Au début du XXe siècle, l’anthropologue Franz Boas travaillait à l’AMNH et suggérait « qu’il vaudrait mieux séparer entièrement les collections anthropologiques de celles qui ont trait à l’histoire naturelle ». Il n’est pas entendu et démissionne en 1905. Cité par Krzysztof Pomian, 2022, Le Musée. Une histoire mondiale. Vol 3, « A la conquête du monde. » Paris, Gallimard, p 446.

[6] Voir Susan Vogel, 1982, «Bringing African Art to the Metropolitan Museum», African Arts, vol. XV, n° 2, 1982, pp. 38-45

[7] Jack Goody, 2010, Le vol de l’histoire. Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde, Paris, Gallimard.

[8] Extrait d’une conférence donnée dans son propre musée. Cité par Bernice Murphy lors du Forum de l’UNESCO « Mémoire et universalité », Siège de l’UNESCO, Paris, 5 février 2007, publié dans Lyndel V. Prott (dir.), 2011, Témoins de l’Histoire, Unesco