Spectacle vivant

Faire péter Shakespeare – sur La vengeance est un plat. de Sophie Perez

Critique

Sous-titrée « La lamentable histoire de Titus et André Nicus », la dernière création de Sophie Perez expose et explose le Titus Andronicus de William Shakespeare, tragédie gore, pleine de meurtre, de viol et de cannibalisme. Ni mise en scène, ni adaptation, La vengeance est un plat. continue de défaire, dans le rire et la scénographie, quelques habitudes textuelles du théâtre contemporain.

Tout commence par un bruit de sifflets assourdissants. Neuf comédiens entrent sur la scène. Ils portent des costumes qui tiennent à la fois de la majorette, du garde républicain ou de la pom-pom girl. Ils s’approchent de neuf micros sur pieds et, tout en exécutant une chorégraphie synchronisée avec leurs pompons, ils chantent très fort une chanson où l’on entend un ordre plusieurs fois répété : « Fais péter le texte ! » Mais que veut dire exactement faire péter un texte ? Et comment le faire péter ?

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Depuis plus de vingt-cinq ans, la compagnie du Zerep conteste l’hégémonie du texte dans la pratique théâtrale, elle s’emploie donc et s’évertue à ne pas monter de pièces de théâtre. En 2005, Sophie Perez, et son acolyte Xavier Boussiron, ne montaient pas le Lorenzaccio de Musset dans leur spectacle au titre emprunté à Sheila et Ringo : Laisse les gondoles à Venise. En 2018, la compagnie ne montait pas exactement Feydeau dans Purge, Baby, Purge. Avec cette nouvelle création La vengeance est un plat. Perez toise le grand Shakespeare et sa première tragédie, Titus Andronicus. Une nouvelle fois, elle ne monte pas exactement le texte, elle ne l’adapte pas non plus. Mais alors, que fait-elle donc avec Shakespeare ?

Le temps des matériaux, panorama de la textualité contemporaine

Commençons par dresser un bref bilan, en forme de panorama lacunaire, sur la place qu’occupe le texte dans le théâtre contemporain. Où en sommes-nous, en France en 2024, avec le texte au théâtre (toute appréciation esthétique mise à part) ? Comme le Zerep aime à citer directement ses collègues metteurs en scène, à la fois pour les chambrer et pour se démarquer de leurs esthétiques respectives, le panorama qui suit prendra donc la forme du name dropping.

Citons d’abord quelques metteurs.euses en scènes actuels dont le travail consiste à monter des textes appartenant au genre pièce-de-théâtre, écrits entre l’Antiquité et 2024 : Alain Françon monte Molière, Marivaux ou Labiche. Stéphane Braunschw


[1] Heiner Müller, entretien avec Wolfgang Heise (traduction Jean-Pierre Morel) dans Fautes d’impression, L’Arche, 1991, p.47.

[2] « Ce qui me préoccupe, c’est de savoir comment un texte peut devenir réalité indépendamment du comédien qui le prononce. Quand Pina Bausch place un hippopotame sur la scène, il devient le protagoniste. Certes, cela heurte les conventions, crée une déchirure, et c’est bien, mais ce n’est pas une solution, seulement l’indication d’une recherche de relation immédiate du théâtre et de la vie. Comment faire d’un texte un hippopotame ? », Heiner Müller, Ibid, p.137.

[3] Jean-Patrick Manchette, Lettres du mauvais temps, Correspondance 1977-1995, La Table Ronde, 2020.

Romain de Becdelièvre

Critique, Producteur à France Culture, Dramaturge

Notes

[1] Heiner Müller, entretien avec Wolfgang Heise (traduction Jean-Pierre Morel) dans Fautes d’impression, L’Arche, 1991, p.47.

[2] « Ce qui me préoccupe, c’est de savoir comment un texte peut devenir réalité indépendamment du comédien qui le prononce. Quand Pina Bausch place un hippopotame sur la scène, il devient le protagoniste. Certes, cela heurte les conventions, crée une déchirure, et c’est bien, mais ce n’est pas une solution, seulement l’indication d’une recherche de relation immédiate du théâtre et de la vie. Comment faire d’un texte un hippopotame ? », Heiner Müller, Ibid, p.137.

[3] Jean-Patrick Manchette, Lettres du mauvais temps, Correspondance 1977-1995, La Table Ronde, 2020.