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Sortir de la guerre d’Israël : leçons depuis la révolution syrienne

Anthropologue

Si la séquence historique du Printemps arabe, ouverte en 2011, marque, dans le monde arabe, l’étape du dépassement des grandes idéologies (panarabisme, communisme, oppositions islamistes) par la réinvention d’une nouvelle politique portée par la rue, ce constat semble également valable pour les deux discours antagonistes en Israël et Palestine – le sionisme et le nationalisme palestinien. Comment dès lors se traduit cette politique du dépassement des deux discours qui, pourtant, sont au centre de la guerre déclenchée le 7 octobre ?

La séquence se précise à Gaza. Les objectifs fixés par Benjamin Netanyahou, à savoir « la destruction du Hamas », « la démilitarisation de Gaza » et la « déradicalisation de la société palestinienne »[1] se manifestent dans les faits par un génocide[2] contre la société gazaouie. Face à la banalisation et la régularité du meurtre de masse, le domicide massif[3], les exécutions extrajudiciaires, le maintien des cadavres sous les décombres[4] et la destruction des cimetières[5], domine chez les Palestiniens et les Arabes en général la conviction que l’objectif de la guerre est celui d’anéantir la société palestinienne de Gaza.

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À ce jour, le ministère de la santé palestinien fait état de plus de 23 000 civils morts rien qu’à Gaza, sur environ 2,4 millions. Quelle que soit l’issue de cette guerre, cette mise à mort systématique restera gravée dans la mémoire collective des Palestiniens et de la génération arabe à venir, au moment où l’optimisme de la raison appelle pourtant à l’effort pour la paix.

Dans cet article, partant du point singulier qu’a constitué la révolution syrienne dans la séquence ouverte en 2011, j’interroge la politique israélienne et la réponse des Palestiniens dans un contexte de guerre et de colonisation. Comment la révolution syrienne – en ce qu’elle est à la fois espoir d’un processus révolutionnaire et échec de son aboutissement – renseigne-t-elle le passage d’une séquence historique à une autre au sein des sociétés palestinienne et israélienne ?

Mon hypothèse est que font partie d’une région commune tant les Palestiniens – ce qui est évident – que les Israéliens, ce que figure par exemple l’irruption d’évènements historiques en partage, tels le Printemps arabe. Celui-ci a conduit à un renouvellement d’ampleur de la conscience idéologique arabe, dont il faut désormais espérer qu’il atteigne enfin les Israéliens figés dans l’ornière d’une politique de rare déshumanisation exterminatrice. Je partirai ainsi d’un livre récemment publié (Mon


[1] Benjamin Netanyahu, « Our Three Prerequisites for Peace. We must destroy Hamas, demilitarize Gaza and deradicalize the whole of Palestinian society », Wall Street Journal, 25/12/2023.

[2] Loin du débat stérile autour du concept, nous employons le mot génocide comme traduction du terme arabe « Ibada jama‘iya » utilisée unanimement par les Palestiniens aujourd’hui pour décrire les massacres à Gaza. Le même mot a été utilisé dans l’histoire des massacres commis par des États arabes depuis les indépendances. On le retrouve chez les Syriens lors de la révolution de 2011 pour décrire la guerre menée par le régime contre les populations. Sur l’analyse de la « tendance génocidaire » au sein de l’État israélien envers les Gazaouis et les qualifications juridiques du terme, voir Ziad Majed, « Peut-on parler de génocide à Gaza », Orient XXI, 14/12/2023.

[3] Le terme renvoie à la destruction des habitations. À l’heure actuelle, le bureau d’information du gouvernement palestinien à Gaza fait état de plus de 69 000 maisons complètement détruites par le Tsahal et plus de 30 unités hospitalières. Voir Netta Ahituv, « Destruction in Gaza, a New Crime Against Humanity Emerges: Domicide », Haaretz, 04/01/2024

[4] Le président palestinien Mahmoud Abbas parle le 26 décembre 2023 de plus de 10 000 cadavres sous les décombres. Voir l’entretien de la journaliste égyptienne Lamiss Hadidi avec Mahmoud Abbas.

[5] Parmi les images chocs et les vidéos relayées par les Gazaouis et largement diffusées dans le monde arabe pendant cette guerre, on retrouve la destruction des nouveaux et anciens cimetières par les bulldozers israéliens, obligeant les familles, après le retrait de l’armée, de rechercher à nouveau les cadavres et de les renterrer dans d’autres cimetières. La profanation des tombes par l’armée israélienne anime nombre de rumeurs sur « le vol des cadavres », le « vol des organes » ou encore « la vengeance contre les martyrs ». Voir Nader Durgham, « Israel-Palestine war: Palestinians

Montassir Sakhi

Anthropologue, Postdoctorant à la KU Leuven

Notes

[1] Benjamin Netanyahu, « Our Three Prerequisites for Peace. We must destroy Hamas, demilitarize Gaza and deradicalize the whole of Palestinian society », Wall Street Journal, 25/12/2023.

[2] Loin du débat stérile autour du concept, nous employons le mot génocide comme traduction du terme arabe « Ibada jama‘iya » utilisée unanimement par les Palestiniens aujourd’hui pour décrire les massacres à Gaza. Le même mot a été utilisé dans l’histoire des massacres commis par des États arabes depuis les indépendances. On le retrouve chez les Syriens lors de la révolution de 2011 pour décrire la guerre menée par le régime contre les populations. Sur l’analyse de la « tendance génocidaire » au sein de l’État israélien envers les Gazaouis et les qualifications juridiques du terme, voir Ziad Majed, « Peut-on parler de génocide à Gaza », Orient XXI, 14/12/2023.

[3] Le terme renvoie à la destruction des habitations. À l’heure actuelle, le bureau d’information du gouvernement palestinien à Gaza fait état de plus de 69 000 maisons complètement détruites par le Tsahal et plus de 30 unités hospitalières. Voir Netta Ahituv, « Destruction in Gaza, a New Crime Against Humanity Emerges: Domicide », Haaretz, 04/01/2024

[4] Le président palestinien Mahmoud Abbas parle le 26 décembre 2023 de plus de 10 000 cadavres sous les décombres. Voir l’entretien de la journaliste égyptienne Lamiss Hadidi avec Mahmoud Abbas.

[5] Parmi les images chocs et les vidéos relayées par les Gazaouis et largement diffusées dans le monde arabe pendant cette guerre, on retrouve la destruction des nouveaux et anciens cimetières par les bulldozers israéliens, obligeant les familles, après le retrait de l’armée, de rechercher à nouveau les cadavres et de les renterrer dans d’autres cimetières. La profanation des tombes par l’armée israélienne anime nombre de rumeurs sur « le vol des cadavres », le « vol des organes » ou encore « la vengeance contre les martyrs ». Voir Nader Durgham, « Israel-Palestine war: Palestinians